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Le Scénario

  • Photo du rédacteur: Kevin Enhart
    Kevin Enhart
  • 4 juin 2017
  • 8 min de lecture

Nous avons tous en tête cette fameuse phrase, à la sortie du cinéma "le scénario est super nul". Qui va généralement avec "il faut vraiment virer le scénariste". On a aussi "le scénario de ce film est génial", évidemment. Il nous arrive à tous (à partir du moment où on regarde un film) de penser ces phrases.

Pour autant, elles n'ont qu'un sens limité. Peu de gens lisent les scénarii des films qu'ils vont voir. Ce serait sympathique, pourtant : beaucoup sont de petits bijoux d'écriture, et l'art du scénario, en lui-même, est extrêmement sympathique (et agréable, pour peu qu'on aime) à lire. Instructif, aussi.

Pourquoi "ce scénario est nul/génial" est une phrase qui a peu de sens? Parce que le film que vous regarder n'est pas le scénario, tout simplement.

On a coutume de dire qu'un film s'écrit trois fois : la première au stade du scénario, la seconde à celui de la réalisation, et la troisième à l'étape du montage. C'est cette troisième version que vous voyez, et celle-ci n'a plus beaucoup de lien avec le scénario tel qui a été écrit. Bien sûr, on en retrouve grosso modo les dialogues, les actions etc. Mais l'enchaînement des scènes a changé. Certaines sont apparu, d'autres ont disparu, ou ont été radicalement modifiées. En théorie, pour le bien du film.

Prenons un exemple, certes connu, mais parlant : Alien 3 (David Fincher, 1992).

Dès 1986, et le succès public de Aliens (James Cameron), la Fox souhaite renouveler l'expérience en proposant, pour 1988/89 un nouvel opus à la saga. Une nouvelle ambiance, un nouveau réalisateur. James Cameron, qui a pourtant déjà proposé un nouveau scénario se voit immédiatement évincé, de même que Ridley Scott, réalisateur du premier film. De leur côté, Walter Hill et David Giler, producteurs associés sur la saga, refusent d'abord. Ils n'ont ouvertement pas aimé le premier film, et auraient souhaité voir Cameron revenir. Mais ils finissent par accepter, moyennant la cession d'une partie des droits de la franchise (ce qui explique, pour les plus observateurs, qu'on a peu les voir revenir au poste de producteurs exécutifs sur Alien Covenant de Ridley Scott en 2017).

Concept Art de la planète Fiorina 161 sous la direction de Vincent Ward

La Fox engagera donc pas moins de sept scénaristes officiels : le romancier William Gibson (Neuromancien), Eric Red (Aux Frontières de l'Aube, 1987), David Twohy (Pitch Black, 2000), John Fasano - avec Vincent Ward (Au-delà de nos Rêves, 1998), Rex Picket - avec David Fincher, Walter Hill et David Giler.

Le nombre de script-doctors est inconnu, mais on peut l'imaginer élevé.

D'autant plus lorsque l'on sait qu'une partie du travail de réalisateur, en amont de la production, est, aussi, de participer activement à l'écriture du scénario. C'est un principe de base : le scénario, le film, doit ressembler à son réalisateur.

On dénombre ainsi quatre cinq réalisateurs approchés pour le film : Ridley Scott et James Cameron en premier lieu, sans succès. Puis vinrent Renny Harlin (Die Hard 2, 1988), Vincent Ward et, enfin, David Fincher (Seven, 1995).

Le script final, utilisé pour le tournage de Alien 3 n'existe cependant qu'à peine, puisqu'il fut terminé, à force de remaniements, durant le tournage lui-même. Et le film qui sortit en 1992 au cinéma est loin, infiniment loin de ce qui était écrit. Même la fameuse Extended Edition - bien que plus proche du scénario définitif et de ce que voulait Fincher n'y est pas encore.

En l'occurence, il ne s'agit pas d'un "mauvais scénario", mais d'une oeuvre inachevée, bâclée par ses producteurs, abandonnée par son réalisateur.

Finalement, qu'est-ce qu'un mauvais scénario?

Difficile question. Qu'est-ce qu'un mauvais film? Impossible de le dire. De même, sur le papier, qu'expliquer ce qu'est un bon film. Une oeuvre peut être totalement visionnaire et inédite dans son écriture, et se révéler totalement ratée une fois en salle. A l'opposé, on peut écrire un scénario blindé de poncifs, mais qui seront suffisamment maîtrisés pour donner un film culte. Un exemple : Star Wars, Episode IV (George Lucas, 1977). Le scénario ne casse définitivement pas des briques : une princesse prisonnière, un gamin sorti de sa pampa et un vaurien pour la sauver, un grand méchant obscur. Ce conte remonte à la Table Ronde. Et pourtant, il a donné l'un des films les plus importants de toute l'Histoire du Cinéma. On peut également citer Jaws (Steven Spielberg, 1975), dans le même genre.

Page du scénario daté de Février 1974 de "Jaws" (Steven Spielberg, 1975)

Il faut se rendre compte que le travail d'écriture scénaristique est à la fois simple et complexe : simple, parce qu'il ne demande pas de talent narratif particulier. Il ne s'agit pas d'un roman! Simple aussi, parce qu'il n'y a pas à perdre de temps en symbolique excessive : tout doit se trouver écrit. C'est au réalisateur de créer la symbolique en décidant de remplacer tel dialogue par un silence, telle séquence par un ou plusieurs plans etc.

Mais c'est également complexe parce que, en tant que scénariste, vous devez en permanence avoir l'oeil sur le tas de notes correspondant à chaque situation de chaque personnage, et les relier logiquement les unes au autres. Rien ne doit vous échapper.

Comment écrire un scénario?

Je ne vais pas vous faire un cours sur le sujet. Néanmoins, sachez que la base de tout est, toujours, l'histoire. Vos thèmes. Qu'allez-vous développer, et comment?

A partir de là, écrivez l'histoire, comme elle vous vient, avant de la "blinder" de dialogues, d'épisodes de transition etc.

On parle souvent des trois actes, technique issue du théatre, mais qui n'a en réalité pas de valeur au cinéma. Il n'y a pas, ici, de changement de décors ou de tomber de rideau justifiant le passage d'un acte à l'autre. D'autant plus que ce système des actes limite grandement l'écriture. Tree of Life (Terrence Malick, 2011), par exemple, se serait rapidement effondré s'il avait été construit sur trois actes. Idem pour les films de Darren Aronofsky.

Mais revenons à Star Wars comme exemple. Je l'ai dit, le scénario est simple, mais efficace. L'avantage que nous avons, c'est que le réalisateur est son propre scénariste, et que quasiment tout ce qu'il a écrit se trouve à l'écran.

Il s'agit d'une histoire linéaire, se déroulant sur quelques jours à quelques semaines, mais dont l'action est suffisamment ramassée sur elle-même pour se justifier.

Parmi les éléments les plus efficaces se trouvent l'opposition entre le héros et sa Némésis : Luke et Vader.

Plus le héros est gentil, simple et naïf, plus le méchant semble obscur, violent et malsain. Certes, ça ne marche pas toujours. Mais ici, oui, et pour plusieurs raisons : d'une part, n'oublions pas que nous nous trouvons dans les années 1970 au moment de la réalisation du film. Luke apparaît donc comme le gendre idéal (proche de la terre, loin de la guerre mais résolument du côté du Bien etc). Le parti rêvé pour une jeune fille, et sa découverte de l'action en fait un pote pour les garçons. Enfin, sa volonté à rester du côté lumineux de la Force en fait un bon exemple pour les enfants. Il est également naïf, ce qui ne gêne pas ici : après tout, il porte le regard du spectateur dans cet univers inconnu, et nous le découvrons avec lui. A l'opposé, Vader est ce qui se fait de pire : pur produit d'un Empire entièrement dévoué à la technique et à la déshumanisation (on retrouve là des thèmes du nazisme, mais aussi des peurs liées au futur tel qu'il est vu dans le cinéma des années 70), il est un religieux intolérant, absolu et négatif. Pire que tout, il accepte sans ciller la destruction d'une planète. C'est un peu ce que l'on raconte de l'URSS à ce moment, ne l'oublions pas (sauf que la planète sera le continent Nord-Américain). Entre eux, Han Solo. Lui va acquérir à sa cause les jeunes filles (et une partie des adolescents mâles, mais pas forcément pour les mêmes raisons) : Solo est le type même de l'enfoiré détestable : égoïste, roublard... l'image même du blouson noir qui déplaît tant aux mères et fait fantasmer les filles. Le type est un gentil salaud. Il est James Dean au volant de son bolide. Il est Easy Rider. Et il montre sa sympathie durant la plus grande partie du film, jusqu'à sauver les miches de Luke, blanc-bec de service, à la fin. Enfin, Leia. Fantasme de la princesse guerrière, plus débrouillard que ses acolytes masculins, plus solide et intelligente. Elle devient rapidement une icône féministe à l'instar, quelques années plus tard, de Ripley.

On le voit, les personnages sont basiques, mais complémentaires. Ils s'opposent, s'attirent à la fois et forment un éventail assez vaste dans cet univers inédit (en 1977, tout du moins).

Et le scénario de Lucas va, tour à tour, les mettre en avant, leur donner leur moment de gloire et de réussite, mais également mettre en avant leurs faiblesses.

C'est d'ailleurs pour cela que ça marche, non seulement au regard du public, mais au regard du film : l'équilibre se fait "naturellement" entre les personnages, ce qui aide d'autant mieux à se les approprier et s'identifier à eux.

D'ailleurs, cela fonctionne aussi, bien souvent, sur des scénarii à l'apparence bien plus complexe et, apparemment, débarrassés de tout manichéisme. Il n'est pas rare de trouver face à face l'image du jeune en apprentissage et de son mentor (Batman et Alfred), du héros naïf et lumineux face à son ennemi obscur et plus intelligent / compétent (Clarice Sterling et Hannibal Lecter) etc. Et cela, même lorsque le scénariste ne joue pas sur cette thématique d'opposition d'une manière plus frontale (Incassable, M. Night Shyalaman, 2000).

A moins d'écrire la vie entière d'un personnage, on ne peut rendre ce personnage complet. A moins, donc, de combler les "manques" par d'autres personnages qui apparaîtront comme autant de complément ou d'opposés. Si Vador est prêt à payer un bras pour son vaisseau, je vous parie que Luke est du genre économe. A l'opposé, tout est ordonné dans l'Empire, quand le bordel règne dans l'atelier de Luke (et je ne vous parle pas de l'était du Faucon).

Ce sont des choses auxquelles ont DOIT penser lorsque l'on écrit un scénario. Tous les scénaristes y pensent, et c'est leur travail.

David Fincher face à Tom Woodruf Jr dans le costume de la créature ("Alien 3", 1992)

Alors pourquoi ne retrouve-t-on pas toujours ça dans les films?

Paaaaarce que!!!

Parce que les studios, les réécritures, les aléas de la réalisation, que sais-je. La majorité des réalisateurs ne sont pas indépendants. De même, lorsqu'un scénario est acheté par un studio, il est le plus souvent réécrit et corrigé, jusque par le réalisateur lui-même. On enlève des personnages, on en rajoute, on les modifie etc.

Le résultat ressemble plus au traitement bâtard d'une oeuvre prête à filmer qu'à autre chose. Et une fois filmé, le script est encore remanié, via le montage. Parfois, des pans entiers d'une histoire disparaissent. Faites le comparatif entre la version cinéma et l'Extended Cut de Alien 3. On entre la version cinéma et le Ultimate Cut de Blade Runner.

Donc pour répondre à la question un scénario peut-il être mauvais? Oui. Mais comment le savoir?

Le lire, une bonne fois pour toutes.

Sans quoi, on ne peut que se fier à se que l'on voit. Le film, fini.

Bibliographie : Il existe des dizaines d'ouvrages sur le scénario, plus ou moins accessibles au grand public, tant ceux-ci tiennent, parfois, de l'ouvrage universitaire.

Cependant, certains, outre qu'ils sont passionnants, se révèlent d'une utilité non négligeable :

- Anatomie du Scénario (John Truby, édition Michel Laffont). Le livre de référence, que quasiment tous les scénaristes ont dans leur bibliothèque. Le livre est régulièrement remit à jour.

- Le guide du scénariste : La force d'inspiration des mythes pour l'écriture cinématographique et romanesque (Christopher Vogler, Editions Dixit). Un autre livre passionnant, quoique moins complet que le précédent.

- Le Héros aux Mille et Un Visages (Joseph Campbell, Editions J'ai Lu). Non pas un livre sur le scénario, mais une étude minutieuse sur le sens du Héros mythique (et mythologique). Livre devenu culte, il est l'une des références de base de beaucoup d'oeuvres cinématographiques, à commencer par les Star Wars de George Lucas (oui, même la Prélogie).


 
 
 

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