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Sur l'Analyse Cinématographique

  • Photo du rédacteur: Kevin Enhart
    Kevin Enhart
  • 4 juin 2017
  • 4 min de lecture

Concept Art de Ralph McQuarrie pour Empire Strikes Back (Irvin Keshner, 1981)

C'est bien beau de parler d'analyse cinématographique, mais c'est mieux, à un moment, de définir ce dont il s'agit. Parce qu'à ce compte, chacun peut analyse un film. Or, on n'imaginerait pas demander conseil au premier pékin venu sur la Joconde de De Vinci, ou le Guernica de Picasso. Enfin, on peut. Mais il n'est pas certain que cette analyse s'en trouverait complète, ou même juste.

D'ailleurs, peut-on parler d'analyse juste? On a tous en tête cette image d'un(e) prof de Lettres nous expliquant que dans telle oeuvre l'auteur avait un truc derrière la tête, ce qui explique pourquoi ces foutus rideaux étaient bleus.

Pourquoi n'étaient-ils tout simplement pas bleus par hasard? Parce que le hasard, en art, n'existe pas, ou quasiment pas. Le principe de la plupart des artistes est de limiter le hasard. Même Jackson Pollock réfléchissait la force et la direction de ses mouvements lorsqu'il peignait avec sa fameuse méthode du dripping. En tant que simple élève, il est difficile pour nous d'imaginer que la volonté de l'auteur sur la couleur des rideaux ait eu un sens. Pourtant, il en avait un. Et si on nous en parle, c'est parce que cette volonté a, très certainement, été mise à jour, que ce soit au travers d'autres écrits, de correspondances etc. Il en va de même pour l'analyse cinématographique. Certes, on ne peut deviner en permanence ce que le réalisateur avait derrière la tête pour chaque plan. Ni même si sa décision était volontaire, ou le fait du studio, des producteurs... ou si tel élément était déjà décrit ainsi dans le scénario (même si beaucoup de scénarii se retrouvent régulièrement sur Internet).

Mais beaucoup d'éléments sont visibles. On peut les déceler au cours d'une filmographie, d'une interview etc. La couleur des vêtements de Samuel L. Jackson, tient, dans Incassable (M. Night Shyalaman, 2000). Mauve. Pourquoi mauve? A quoi pensait l'équipe chargée des costumes en les faisant de cette couleur? A une demande très spécifique de Jackson lui-même, soutenue par Shyalaman : le mauve est sa couleur préférée. Et c'est une harmonie du bleu, couleur du personnage interprété par Bruce Willis. En y ajoutant du rouge (qui donne une indication sur la nature du personnage) on a... du mauve. Voila.

Mais l'analyse cinématographique ne se limite pas à cela.

Connaître, et reconnaître les plans, leur valeur, leur harmonisation en fait également partie. Savoir reconnaître quand ils s'enchaînent à la perfection, ou quand il y a un faux raccord. Alors, certes, un faux raccord ne fait pas la qualité d'un film. Et même le fait de briser quelques règles de l'art du cinéma ne ruine pas une oeuvre... pour peu que cela soit voulu.

Il existe deux types de faux raccords : les faux-raccords à l'image, et les faux-raccords caméra.

Les premiers interviennent le plus souvent : un objet déplacé, l'acteur qui change de main en cours de route pour attraper un objet etc. C'est souvent le travail de la scripte - personne extrêmement importante sur le plateau, mais infiniment seule - que de les noter et les remarquer. Seulement, on ne peut pas tout voir. Sans compter les contraintes (de temps, d'espace etc) qui "forcent" à ce type de tricherie.

Les faux-raccords caméra sont, eux, plus rares, mais également plus graves. il existe plusieurs règles "immuables*", et y déroger fait irrémédiablement se poser des questions sur vos talents de réalisateur.

Enfin, l'analyse amène l'observateur à se demander pourquoi tel élément d'un film est réussi, tel autre moins, etc. Il n'existe aucun film intégralement raté. Ni intégralement réussi. Aucune oeuvre n'atteint la perfection, d'un côté comme de l'autre. Mais pourquoi tel film est-il raté? Ou réussi?

C'est là qu'intervient l'analyste, dont la première tâche est de se défaire de ses goûts propres. Je n'aime pas 2001 l'Odyssée de l'Espace (Stanley Kubrick, 1968). Mais pourquoi ce film est-il si passionnant, visuellement parlant? Si réussi? La Joconde du cinéma, ou pas loin. Pour analyser, il faut des connaissances objectives, savoir regarder un film sans le ressentir (en tout cas, au moment où on l'analyse). Se détacher de l'oeuvre pour aller regarder le détail. Oubliez la Joconde. Oubliez le sourire. Regardez le décor en arrière plan. Ce truc insignifiant, cette technique, le smfumato, qui a révolutionné la peinture.

Le cinéma est cependant un art vivant (si, si), donc qui évolue, change... Pour une part. Les règles établies restent tout de même, seule la manière de les mettre en place change. Ce qui était inacceptable il y a vingt-cinq ans (par exemple, le montage rapide de Tony Scott, deux secondes par image, c'est dingue!) est devenu monnaie courante (Fast & Furious).

L'analyse, c'est donc la réflexion qui accompagne chaque image d'une oeuvre cinématographique : chaque son, chaque note musicale, chaque élément de l'image. Et en déterminer les qualités et défauts, en rapport avec un "cahier des charges" pré-établi qui n'est autre que la culture cinématographique elle-même. C'est ce qui permet de pouvoir dire avec un minimum d'assurance que Hitchcock est l'un des meilleurs réalisateurs de l'Histoire du Cinéma, que Uwe Böll est l'un des pires et, ce, avec la démonstration adéquate. Bien sûr, comme toute analyse artistique, elle est soumise à d'autres analyses. On peut voir et retirer des choses différentes d'une image. Ce qui n'est pas un frein à la réflexion, bien au contraire. Et c'est d'ailleurs la base de toutes les discussions sur le sujet, même si d'autres éléments se prêtent assez peu à la contradiction.

Tous les films peuvent-ils être analysés et étudiés? Oui, tous. Sans exception. Depuis Un Chien Andalou (Luis Bunuel, 1929) jusqu'à Captain America : Civil War (Joe et Anthony Russo, 2016), du plus intime des films indépendants à la plus insipide des productions de studio. Parce que, même là, se niche une réflexion, une volonté de montrer quelque chose. Que cette volonté soit financière ou artistique, la somme des personnalités qui y participe en fait un sujet d'étude forcément intéressant.

Et, qui sait... A l'instar d'un Blade Runner ou d'un Alien 3, peut-être pouvons-nous déceler, derrière le travail du studio, une oeuvre appelée à devenir plus grande que ce à quoi l'on pourrait s'attendre.

*Ces règles sont immuables dans la mesure où le film n'a pas pour vocation d'être une oeuvre artistique hors de la cinématographie commune. Jean-Luc Godard a largement joué sur les faux-raccords caméra, d'une manière réfléchie, dans ses oeuvres, par exemple. On peut également citer les films du mouvement Dogma (Lars Von Trier et Gus Van Sant), à l'instar des Idiots (Von Trier, 1998).


 
 
 

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