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BASIC INSTINCT

  • Photo du rédacteur: Kevin Enhart
    Kevin Enhart
  • 10 juin 2017
  • 21 min de lecture

Basic Instinct

Titre original : Basic Instinct

Réalisation : Paul Verhoeven

Scénario : Joe Eszterhas

Décors : Terence Marsh

Costumes : Nino Cerruti et Ellen Mirojnick

Photographie : Jan de Bont

Musique : Jerry Goldsmith

Montage : Frank J. Urioste

Production : Alan Marshall

Sociétés de production : Carolco Pictures (États-Unis), Studio Canal (France)

Sociétés de distribution : TriStar Pictures (États-Unis), Union générale cinématographique (France)

Budget : 49 000 000 de dollars

Durée : 127 minutes - 128 minutes (version non censurée) (1)

Michael Douglas (VF : Patrick Floersheim) : Inspecteur Nick Curran

Sharon Stone (VF : Micky Sébastian) : Catherine Tramell

George Dzundza (VF : Daniel Russo) : Gus Moran, le collègue de Nick

Jeanne Tripplehorn (VF : Pauline Larrieu) : Dr. Elisabeth Garner / Lisa Hobermann

Denis Arndt (VF : Jacques Richard) : Lieutenant Philip Walker

Leilani Sarelle (VF : Élisabeth Wiener) : Roxanne « Roxy » Hardy

Dorothy Malone (VF : Véronique Augereau) : Hazel Dobkins, amie de Catherine

Bruce A. Young (VF : Med Hondo) : Andrews

Chelcie Ross (VF : Jean-Claude Balard) : Capitaine Talcott

Wayne Knight (VF : Michel Mella) : John Correli

Daniel von Bargen (VF : Georges Beauvilliers) : Lieutenant Marty Nilsen

Stephen Tobolowsky (VF : Nicolas Marié) : Dr. Lamott (2) (3)

1/ Résumé

2/ contexte

3/ Personnages principaux

4/ analyse de l'histoire

5/ analyse audiovisuelle

6/ conclusion

Résumé :

A San Francisco, la rock star Johnny Boz est assassinée, à l'aide d'un pic à glace, alors qu'il entretient une relation avec une romancière, Catherine Tramell. Dépêché sur place, l'Inspecteur Nick Curran suspecte rapidement la jeune femme et, alors qu'il est rattrapé par ses propres ennuis avec sa direction, se rapproche d'elle dans l'espoir de la confondre.

Contexte

On pourrait croire, à tort, que tout a été dit sur Basic Instinct. En réalité, on en est assez loin, tant le film est complexe et regorge d'effets jouant sur la psychologie des personnages - et par extension du public.

Le film a été, outre son succès populaire immédiat, largement décrié à sa sortie. A une époque où Internet n'en était qu'à ses balbutiements (du moins, pour le grand public), des pétitions ont rapidement fleuri, notamment aux USA, pour tenter d'arrêter la diffusion du film de Verhoeven (RoboCop, 1986), s'appuyant parfois sur les critiques acerbes de journalistes professionnels. Si le voyeurisme a marché pour le grand public, la pudibonderie de la presse s'est révélée, elle aussi, redoutable. Non seulement à cause du fameux plan impudique de Sharon Stone dans le commissariat, mais aussi pour certains propos - ou certaines idée - soit-disant véhiculées par le film. Ainsi, il fut largement commenté comme homophobe, ou biphobe, les défenseurs de cette thèse affirmant que le métrage propageait volontairement l'idée que la bisexualité n'est autre qu'un état de doute transitoire, menant forcément à un état de détresse psychologique pouvant mener à la sociopathie. Ce qui, évidemment, est faux dans les deux cas : il s'agit, pour le coup, d'un amalgame composé ainsi par les spectateurs qui décriaient le film. Oui, le personnage de Catherine Trammell est bisexuelle. Et oui, elle est une tueuse en série sociopathe. Le seul lien entre les deux est qu'elle est en quête de plaisir (elle le dit elle-même à plusieurs reprises), de quelque manière que ce soit. Si au lieu de tuer elle avait prit son pied en faisant du sport, personne n'y aurait vu d'amalgame. Mais tuer est immoral (en plus d'être illégal), donc tout ce que fait le personnage doit aller dans ce sens. Or, tout ce qui a trait au personnage n'est pas négatif (elle fait preuve d'émotion par exemple, et tombe même amoureuse), de même que tout ce qui fait le personnage de Nick Curran n'est pas positif.

Ainsi, passée son outrecuidance à se montrer plus incisif, intelligent et retors que ne le supportaient une partie du public et des critiques (le film a, tout de même, été parfaitement reçu dans le reste du monde, y compris par les critiques professionnels), Basic Instinct s'est vu voué à n'être considéré, pour un temps, qu'un fantasme pour voyeur en mal de blonde.

Avant de devenir la base d'un genre (le thriller érotique), largement repris, y compris par les plus grand (Jade, de William Friedkin, en 1995). Et à devenir une oeuvre culte, fondatrice d'un cinéma policier capable d'aller bien plus loin que ses prédecesseurs. Il y a un avant, et un après Basic Instinct, et des films comme Seven (David Fincher, 1995) lui doivent également beaucoup, de la même manière que les séries flirtant avec le gore ou avec la sexualité actuellement doivent beaucoup à Sex & the City, aux Experts, aux X-Files ou à Twin Peaks. La corrélation entre sexe et violence dans l'art n'est plus à démontrer.

En contrepartie, Basic Instinct signera également l'arrêt du thriller érotique (même si d'autres suivront, comme on l'a vu), dans le sens ou il se montre tellement extrême à tous points de vue qu'il est quasiment impossible d'y ajouter quoi que ce soit.

Difficile d'imaginer tueuse plus belle, plus intelligente et machiavélique que Sharon Stone (4).

Les Personnages :

Catherine Tramell (Sharon Stone) : Comme dit plus haut, Tramell est extrêmement intelligente. Elle est manipulatrice - à la fois dans son tempérament et dans ses goûts (elle aime dominer, quelque soit le domaine), adepte des jeux dangereux (elle se présente elle-même plusieurs fois comme la coupable idéale). Elle est également l'image de la femme forte et indépendante des années 1980/90 : libre dans ses choix de vie et d'emploi, dans sa sexualité, jusqu'à sa manière de penser, en marge de la vision plus étriquée des hommes du film. Elle est également insaisissable : sa relation avec Nick Curran (Michael Douglas) en est l'exemple. Si elle le laisse approcher, et entrer dans son intimité (au moins physique), les morceaux de sa personnalité qu'elle lui dévoile son infimes, et elle joue très ouvertement avec lui. D'ailleurs, la scène finale en est un bon exemple : si Tramell est coupable, alors le jeu continue, jusqu'à ce que Curran l'ennuie, et qu'elle le tue. A moins qu'elle n'en tombe réellement amoureuse à ce moment. Si elle n'est pas coupable, alors un autre jeu commence, de falsification : soit elle tuera Curran pour devenir ce nouveau fantasme, soit le doute qu'elle laisse entretenir est le fantasme lui-même et, par là même, le ciment de sa relation avec lui. Ciment qu'il fabrique lui-même, puisque son attirance vers elle vient, en partie, du doute qui persiste (comme il le dit, le danger qu'elle représente est ce qui l'excite). On retrouve d'ailleurs le même jeu dans les romans de Thomas Harris Le Silence des Agneaux (1988) et Hannibal (1999), avec le même questionnement à la fin du second opus.

Nick Curran (Michael Douglas) est le type même du flic brutal, pas forcément plus intelligent que la moyenne, mais borné, tel qu'on en rencontre dans le cinéma depuis la fin des années 1970. Ses démêlés avec sa direction et l'Inspection de la police mettent d'ailleurs clairement en avant son aptitude à tirer sur tout ce qui bouge. A y regarder de plus près, il ressemble à un Inspecteur Harry à qui on demanderait des comptes. Un signe que les temps changent : au début des années 1990, les flics doivent justifier de leurs actes. Et le film ne sortant que quelques mois avant les émeutes meurtrières de Los Angeles, le personnage est plus que jamais d'actualité. Comme dit plus haut, Curran n'est pas nécessairement très intelligent, et se laisse assez rapidement prendre au jeu de Tramell. Mais l'intelligence du film est de lui donner une certaine latitude dans ce jeu, son opiniâtreté lui permettant d'avancer tout de même dans son enquête. C'est d'ailleurs lorsqu'il perd son poste d'Inspecteur - et l'enquête - que Curran se révèlera : torturé, il est finalement aussi machiavélique que Tramell (quoi que dans un autre registre), et dans un quête de libération (sociale, sociétale, amoureuse...) analogue. De flic triste et blasé, il devient un enquêteur héroïque (au sens noble du terme), une fois qu'il a sacrifié tout ce qu'il possédait.

Le docteur Elisabeth Garner (Jeanne Tripplehorn) : elle est le troisième maillon (ou le quatrième, si l'on y inclut Roxy) de la chaîne, et le second suspect du film (ou le troisième, encore une fois). Psychiatre dans la police, elle est - tout du moins durant la première moitié du film - à la fois la conseillère, la maîtresse et la confidente de Curran. Très intelligente, elle démontre énormément d'empathie et d'émotion, contrairement à Tramell, dont elle est l'exact opposé. Mais la seconde partie du métrage la montre plus ambigüe que cela : ancienne collègue de Tramell à Berkeley, elle en a également été l'amante. Une relation complexe, dont la vérité ne nous est jamais dévoilée, et qui tient dans la scène d'accusation de Curran : Garner explique que Catherine s'habillait et se coiffait comme elle, jusqu'à devenir identique, sous le nom de Lisa Hoberman. Et c'est là que le mystère (que l'on croyait simple jusque là) s'épaissaisit : rien ne nous dit jamais que ce n'est pas Garner qui s'habillait et se maquillait comme Tramell. Et rien ne nous dit que ce n'est pas elle qui a tué Johnny Boz (ainsi que l'ancien directeur de recherche de Catherine à Berkeley), de manière analogue au roman de cette dernière. Ainsi, la récupération par Tramell de Curran serait une pièce parmi d'autre d'un jeu d'échange à distance entre les deux femmes qui joueraient par opposition. La scène de sexe brutale entre Curran et Garner peut d'ailleurs aller dans ce sens : le policier, échauffé par Catherine durant son interrogatoire, retrouve la psychiatre et laisse aller son instinct. Acte qu'elle refuse tout d'abord, avant, apparemment, de l'accepter - dans une séquence qui, de fait, passerait du viol à la manipulation.

Roxanne « Roxy » Hardy (Leilani Sarelle) est la dernière pièce du quatuor. Discrète, presque invisible, elle est à la fois l'amie et (on le devine) l'amante de Tramell. Ce qui peut se rapprocher le plus d'une compagne, et c'est d'ailleurs ainsi que Roxy se voit, sa jalousie envers Curran en attestant. Elle est également la seule personne pour laquelle Catherine a de l'affection, comme le montre la scène où elle la pleure, après qu'elle se soit tuée en voiture, poursuivie par Nick. De fait, elle pourrait également être la tueuse. Non pas par jeu comme cela serait le cas pour Garner, mais à la fois par jalousie et par envie. L'envie de se rapprocher du fantasme que représente Catherine en recopiant le meurtre décrit dans son roman, et donc de lui plaire en devenant plus exclusive, une fois la menace que représente Johnny Boz écartée (et sans doute, plus tard, Curran, si elle l'avait pu). Verhoeven la construit comme un personnage à la fois simple (elle n'est pas d'une très grande intelligence comme les autres femmes du film) et attachant, mais froid envers quiconque menace Tramell (ou sa relation avec elle).

Le Lieutenant Marty Nilsen (Daniel von Bargen) est l'envoyé de l'IGS (Inspection Générale des Services) pour suivre l'enquête concernant les agissements de Curran. On pourrait penser, comme ça, que le rôle de Nilsen n'est dédié qu'à celui de victime dans le dernier tiers du film. Et d'antagoniste du héros. Mais ce serait (largement) simplifier son rôle. En réalité, et même s'il semble n'être qu'un horrible abruti prétentieux, il sert à plusieurs choses : d'une part, tout le passé de Curran nous est révélé grâce à lui. Le fait que Nic soit le genre de flic à avoir la gâchette facile, son alcoolisme et caetera. Tout ce que le personnage peut avoir de sombre nous est raconté par Nilsen. De fait, alors que notre empathie va, naturellement, vers Michael Douglas, l'agent de l'IGS est sans doute, au final, le plus "sain" et droit du groupe : c'est un flic qui fait son boulot, et s'inquiète de voir un autre flic perdre pied. Sa ramène plus que jamais les soupçons vers l'entourage de Curran, comme un message rappelant que celui-ci doit sa liberté (et sa liberté, plus tard) au mystérieux assassin.

L'histoire

Le scénario de Basic Instinct est écrit par Josef (Joe) Eszterhas, d'origine Hongroise, rédacteur durant plusieurs années du magasine Rolling Stone. Lassé, il se tourne vers le cinéma, écrivant notamment Flashdance (Adrian Lyne, 1983), A double tranchant (Richard Marquand, 1985) ou La main droite du Diable (Costa-Gavras, 1988). Ironiquement, il écrira également les oeuvres les plus ouvertement inspirées par Basic Instinct : Sliver (Philip Noyce, 1993) et Jade (William Friedkin, 1995). Il est également romancier, ce qui boucle une carrière assez peu fournie cinématographiquement (seize films écrits entre 1978 et 2006) (1) (2).

Joe Eszterhas en 1995, pour la promotion de "Showgirls" (Paul Verhoeven)

Comme de coutume, le scénario de Love Hurts (son premier titre) est mit aux enchères auprès des studios hollywoodiens, alors en pleine refonte à l'aube des années 1990. Les directions changent rapidement, et observent avec attention les évolutions du public et de leurs goûts : David Lynch travaille à une série TV annoncée comme sulfureuse (Twin Peaks, 1992-1994), Hannibal Lecter a prouvé qu'un tueur psychopathe et sadique peut engranger beaucoup d'argent (Le Silence des Agneaux - 273 millions de Dollars gagnés pour un budget de 20). Eszterhas est déjà connu, et suivi par les studios. Et son nouveau script (qu'il rebaptise le jour même de l'enchère) provoque l'effet d'une bombe. Les studios se l'arrachent littéralement. C'est finalement Carolco (Terminator, la saga Rambo...) qui rafle la mise, payant trois millions de Dollars au scénariste, et lui en promettant un quatrième s'ils parviennent à inclur Irwin Winkler comme producteur (ce qui arrivera). Le film est un succès immense : avec un budget de quarante-neuf millions, il en rapporte plus de quatre-cents. Un record pour un film de ce type, mais il est vrai que la présence de Michael Douglas et la scène de l'interrogatoire sulfureux permettent un bouche à oreille particulièrement puissant.

Comme dit plus haut, Eszterhas a été rédacteur auprès du Rolling Stone Magasine. Une expérience dont on retrouve la trace dans le métrage, notamment par la présence du rocker Johnny Boz, ou encore la dépiction de Catherine Tramell (riche, seule, libre de ses choix et vices - de la drogue au sexe).

Parlons à présent du scénario lui-même (que l'on trouve très facilement sur Internet (5)) : quasiment tout est dans le film, et quasiment tout ce que vous voyez dans le film est dans le script. Ce qui nous facilitera la vie (lire le post sur le Scénario, plus tôt dans le blog). Dire que ce script est un petit bijou d'écriture est encore en dessous de la vérité. C'est un chef-d'oeuvre de complexité, de perversion et de manipulation, du début à la fin. Ici, chaque nouvel élément, au lieu simplifier et clarifier la situation ne fait que la rendre plus dangereuse, et plus obscure.

Le film commence d'une manière assez simple et classique : le meurtre, auquel, comme de coutume, nous assistons, le début de l'enquête avec la présentation de la victime, du suspect et des policiers, et les premiers indice. Tout est fait pour rendre l'affaire aussi évidente que possible pour le spectateur, Eszterhas jouant sur la fascination exercée par le personnage de Tramell pour garder le public, qui croit savoir qu'elle est la tueuse, dans la salle. On se demande si et comment elle va s'en sortir, et jusqu'à quel point Curran et elle vont jouer au chat et à la souris.

D'ailleurs, le scénariste s'amuse à laisser les réponses de Tramell dans le vague, au point qu'elle apparaît définitivement sûre d'elle : elle admet rapidement avoir couché avec Boz (depuis un an et demi), l'avoir fait parce qu'elle aimait "ce qu'il lui faisait", avoir prit de la drogue, y compris avec lui, etc. Il est évident qu'elle n'est pas une femme pudique sur ses moeurs, de même que sur son accomplissement personnel (elle est l'image même de la femme riche et solitaire qui mène sa vie comme elle l'entend). En revanche, rien ne laisse chez elle paraître la moindre émotion. Elle soutient calmement les regards d'une salle pleine d'hommes. Sa tranquillité d'esprit sur sa vie privée va jusqu'à leur dévoiler son absence de sous-vêtements (ce qui n'apparaît d'ailleurs pas dans le scénario, et qui peut-être une idée de Verhoeven). En connaisseur du star-system, Eszterhas joue à donner à Tramell non seulement un côté sensuel, mais également extrêmement provoquant ce qui, il le sait, signifie pour une partie du public qu'elle est forcément coupable, puisque riche ET déviante (moralement, sexuellement). A ce moment, Curran agit d'ailleurs comme les membres du public : il cherche comment la faire craquer, comme l'amener à se dévoiler, sans succès.Mais l'autre élément sur lequel joue le scénariste, en filigrane, est la solitude de Catherine (qui, de fait, servira de McGuffin). Elle est en perpétuelle quête de plaisir. Tout ce qui y est associé y passe, d'ailleurs : on la voit boire, danser, prendre des drogues, coucher... Ne manque que le pot de Nutella à la petite cuillère. Même ses jeux de manipulation se font selon son plaisir. Elle domine chacun des éléments qui l'entoure (encore une fois dans sa manière de ne pas donner de réponses, comme dans sa sexualité, où on la voit toujours au-dessus de son partenaire). Mais il n'est jamais question de bonheur. Elle est seule, et apparaît la plupart du temps ainsi (hormis lorsque Curran la trouve dans la boîte de nuit, mais il s'agit encore de manipulation).

La première partie du film se passe donc à découvrir, à demi-mot, chacun des éléments qui font la vie de Catherine, et le jeu qui se fait entre elle et Nic. Lui-même est tiraillé entre son attirance physique pour elle (ce qui se traduit par le quasi-viol de Beth Garner, son travail de policier et le fardeau que celui-ci représente. Nic est sans conteste un bon investigateur. Mais il est aussi impulsif qu'elle, en réalité, quoi que moins réfléchi. C'est d'ailleurs ce qui va faire qu'il tombera rapidement sous ses griffes. Ses réactions face à Nilsen, l'agent de l'IGS, ou même face à Gus Moran, son collègue. Il apparaît dès le début comme un homme brisé, ce que devinera rapidement Catherine : son alcoolisme, son divorce... Les choses commencent donc à se compliquer dans la seconde moitié du film, où les indices relevés jusque là prennent finalement leur sens.

L'univers de Catherine est constitué de meurtres : son professeur à Berkeley, ses romans, Johnny Boz. Elle qui contrôle toute sa vie voit sans doute naître une nouvelle fascination avec ces éléments qu'elle ne peut maîtriser. A moins qu'elle ne les maîtrise totalement, justement. La femme fatale propre aux films noirs.

Le second élément est Beth Garner, la psychiatre, compagne de Curran. Son parcours est finalement le même que celui de Catherine, à ceci prêt que, travaillant avec la police, elle est plus proche du fantasme de meurtre que son ancienne amante. C'est d'ailleurs entre elles que naîtra le doute le plus évident du film, en partie calqué sur Sueurs Froides (Alfred Hitchcock, 1958) : l'une blonde, l'autre brune, elles partagent des traits qui leur permettent de se ressembler d'une manière évidente. Au point, comme l'explique Beth, que Catherine prenait son apparence pour la copier. Une explication sans preuve, puisque nous ne possédons que des photos de cet élément, et qu' l'inverse pourrait également être vrai.

La multiplication des personnages permet plusieurs choses : d'une part, perdre (ou laisser se perdre) le personnage de Nic : son attirance obsessionnelle pour Tramell l'amène à perdre toute objectivité sur l'enquête, au point de se la voir retirer. D'ailleurs, à y regarder de plus près, les meurtres de Gus et de Nilsen concernent particulièrement Nic. Ces deux personnages sont des éléments proches de lui, et qui peuvent lui nuire - ou au moins nuire à son rapprochement avec Catherine. Néanmoins, il est possible que Tramell ne sache rien de l'enquête de l'IGS, et qu'elle ne soit pas l'auteure, au moins de ces morts. Il s'agit en effet de meurtres liés à un besoin fonctionnel (libérer Nic), et non exécutés par plaisir, ou dans un besoin de domination. Beth peut donc les avoir tués. Mais tuer Nilsen est également ce qui fait que Nic perd l'enquête et, donc, en théorie, l'éloigne de Catherine. Beth, encore, qui, jouant à l'opposé de la blonde, chercherait à garder Nic. Non pas par amour, mais comme un trophée, si l'on prend en compte la potentielle rivalité intellectuelle entre les deux. Le choix de Nic, à ce moment, se porte d'ailleurs sur Beth, mais pas par logique : accuser Beth Garner revient à disculper Catherine, et donc à se l'approprier. Dès ce moment, il peut librement aller vers elle.

Un autre personnage joue également dans la partie : Roxie, la protégée de Tramell. Celle-ci est ouvertement jalouse de Nic et, la méthodologie du meurtre ayant déjà été traitée par elle dans son roman, Roxie peut parfaitement tuer Boz par jalousie. La méthodologie reviendrait alors à se faire remarquer par Catherine, être vue comme son égale et non sa pupille. Mais comment apprendrait-elle pour Gus et Nilsen? Et, hormis pour plaire d'avantage à Tramell en acceptant Nic (ou en cherchant à le faire accuser), pourquoi les tuer?

Enfin, dernière option possible : Catherine tue Boz, Nic s'en rend compte, et tue lui-même Gus et Nilsen pour laisser s'évanouir le faisceau de soupçon qui pèse sur Catherine. C'est une vision possible du film : son personnage se libère au contact de Catherine, devenant plus sûr de lui, en même temps que plus dévoué à la jeune femme. Tombe -t-il suffisamment amoureux d'elle pour le faire? Possiblement. Ou, en tout cas, il cherche à la comprendre, et apprécie ce qu'il entrevoit.

On l'a compris, définir qui a tué est ici impossible, au point que même le personnage principal peut, lui-même, entrer dans les suspects (il est également entouré de meurtres, et a déjà tué). Autant pour la thèse biphobe avancée à l'époque, selon laquelle Tramell était forcément la tueuse parce que "déviante".

Même la scène finale ne vient, à aucun moment, éclairer l'intrigue. Le fait que Catherine ait un pique à glace sous son lit n'implique pas qu'elle ait tué, mais qu'elle pourrait le faire. On l'a dit, est est très certainement sociopathe (le terme généralisé de psychopathe n'existe pas dans le lexique psychiatrique en France). Tuer Nic pourrait aller dans plusieurs sens : d'une part, tuer celui qui a appris à la connaître le mieux. D'autre part, tuer celui qui est responsable de la mort de Roxie. Mais le fait qu'elle ne le fait pas implique surtout bien autre chose, qui est le véritable coeur du film.

Avant-dernière page du scénario définitif.

Car pour comprendre Basic Instinct, il ne faut pas chercher un meurtrier, ni même les causes d'un meurtre, mais suivre une histoire de personnages. Ils sont brisés, entourés d'une aura malsaine, de mort, et ne parviennent à se complaire que dans les autres morts (Nic comme enquêteur de la Criminelle, Catherine écrit des romans policiers, et Beth est psychiatre judiciaire). Et tous sont "vides", condamnés à perpétuer leur vie propre, sans espoir de changement.

Catherine devient donc le complément de Nic, et vice-versa. Il va la chercher, la séduire (et se laisser séduire), d'abord dans le sens qu'elle recherche, puis dans le sien. Divorcé, sa vie amoureuse elle-même est un vaste champ de mines, que Beth ne comble pas. Elle est un passe-temps, mais qui ne semble même pas représenter le plaisir que Catherine trouve avec les hommes et femmes qu'elle croise. Il vit un semblant de relation affectueuse, mais sans amour. A contrario, Catherine n'a pas ce manque affectif - ou ne lui accorde pas d'importance. Celui-ci ne se manifeste qu'auprès de Nic. On voit d'ailleurs leur relation évoluer au fil du métrage.

D'abord purement professionnelle, elle devient une quête de plaisir lorsqu'ils couchent ensemble pour la première fois. Une quête que Nic cherchera à reproduire avec Beth, sans succès, et qui marquera d'ailleurs la fin de leur liaison.

Dire qui, de Nic ou de Catherine tombe amoureux le premier est difficile, tant les deux personnages sont sur leurs gardes en permanence : elle par habitude, lui pour ne pas souffrir. Mais cet amour existe à la fin. Non pas simplement parce que Catherine le lui dit, et qu'il lui fait comprendre, mais parce que les deux se complètent finalement, à la fois avec une douceur affectueuse et la rugosité de leurs caractères. Il fume avec elle (un élément qu'il avait abandonné), et se confie à elle, quand bien même elle devine sans doute tout à l'avance. Mais le "je t'aime" qu'elle lui murmure dans la scène finale est également un mot important - pour peu qu'il ne soit pas considéré comme un phrasé élémentaire : elle se dévoile, se confie et s'ouvre émotionnellement à lui ici. Pour de bon. Elle l'a déjà fait (lorsqu'il arrive chez elle après la mort de Roxie, et la trouve en train de pleurer), mais pas avec cette intensité qui, comme le confirme le pique à glace qu'elle dissimule, est également violente. Car leur amour ne peut-être que cela : violent, bancal. Ils se correspondent.

A final, la quête affective de l'un complétant l'autre reste l'un des enrichissements les plus importants du film, permettant aux personnages de gagner, à nouveau, un statut moral auprès des spectateurs. C'est basique (comme procédé), mais s'ils s'aiment, alors ils sont bons. A t-elle tué? Le fera-t-elle? Et lui? Possible. Elle le tuera d'ailleurs sans doute, un jour, dans un moment d'ennui, ou quand elle ne l'aimera plus assez fort. Mais, à ce moment, les sentiments qu'elle semble éprouver pour lui son plus forts que sa pulsion. Et tout indique dans la mise en scène (comme on le verra dans la suite) que son amour est réel.

En aparté, et pour revenir un peu sur la thèse de la biphobie... On pourrait également voir dans le final le fait qu'elle accepte une vie de couple à la fois exclusive et hétérosexuelle, la déchargeant du coup de tout soupçon de meurtre. Bien sûr, c'est une simplification extrême, mais qui ne serait valable que si on accepte l'idée que sa bisexualité a un lien avec les meurtres, et qu'elle est, elle-même, la meurtrière. Un peu capilotracté, je sais.

Analyse Audiovisuelle

On considère souvent le style filmique de Paul Verhoeven comme relativement basique, voire manichéen (dans le sens où son montage et son agencement des plans sont simples et évidents), ce qui est, en partie, vrai. Mais pas que. Avec Jan De Bont (futur réalisateur de Speed en 1994) à la photographie, Verhoeven signe ici l'un de ses films les plus soignés et pensés. La photographie (lumière, cadrages...) est excellente. L'opposition des lumières solaires sur Sharon Stone (avec un contre-éclairage vif, la rendant un brin evanescente) et de l'obscurité bleuté sur Michael Douglas (pendant la première partie du film, son aura s'éclaircit aussi à mesure qu'il gagne en liberté intellectuelle et sociale) se complètent à merveille, pour finalement se rejoindre dans la dernière partie. On constate également que Catherine est souvent, dans les premières scènes, incluse dans un jeu d'ombre et de lumière qui, outre qu'il symbolise la trame scénaristique du film, la rend plus trouble, entre ombre et lumière, bien et mal, tant que subsiste un doute. Cet effet disparaît dès lors que Nic lui devient acquis, lorsqu'ils couchent ensemble pour la première fois.

D'un point de vue pratique, Verhoeven place largement Tramell au centre d'une image vide. Elle est solitaire, mais les fonds utilisés (ci-dessus, par exemple, ou le mur nu du commissariat) lui confèrent une aura de mélancolie. Verhoeven s'amuse également à largement la filmer en légère contre-plongée : elle manipule, domine, même seule à l'écran. Et elle envahit littéralement l'image dans les scènes de sexe, où sa suprématie est totale. Elle est, d'ailleurs, toujours au-dessus de son partenaire.

De fait, l'image révèle plus facilement le personnage que le scénario lui-même, à force de jeux de caméra. La scène où elle séduit Nic pour la première fois, d'ailleurs, rappelle la scène de Sueurs Froides durant laquelle James Stewart se rapproche de Kim Novak : les gestes accompagnent les mots, et la caméra les suit. Ce qui commence en plan d'ensemble se finit en gros plan intimiste, en murmures, où les regards trahissent les pensées des uns et des autres. Le retour en plan plus large ne se fait que lorsqu'ils couchent effectivement ensemble, trahissant la nature affectivement vide de l'acte.

On peut trouver dans Basic Instinct des liens avec Le Quatrième Homme (1983), tourné par Verhoeven avant d'arriver aux Etats-Unis, et qui raconte la fascination d'un écrivain homosexuel pour une jeune femme dont on imagine déjà facilement les traits de Catherine Tramell. Les jeux de regards, la prestance et la manière de filmer sont très proches, malgré une différence de moyens conséquente.

On a coutume, au cinéma, de placer pour un champ / contre-champ la caméra légèrement au-dessus de l'épaule de l'acteur ou de l'actrice. Cela ouvre le champ sur le personnage en face, et lui permet une plus grande expressivité. Cela pose également certains problèmes, notamment lorsque l'un des acteurs est plus grand que l'autre. Ici, Verhoeven place, dans la plupart des conversations du début du film, sa caméra plus bas qu'à l'accoutumée, permettant - en apparence - à Sharon Stone d'être au même niveau que Michael Douglas. Les écarts se resserent tout au long du film, jusqu'à faire disparaître toute notion de supériorité de l'un sur l'autre.

La direction artistique de Verhoeven est également un indice révélateur de l'état émotionnel des personnages. Ca peut paraître évident comme cela, mais ça ne l'est pas toujours pour les réalisateurs, en particulier sur des films de genre complexes. La scène durant laquelle Catherine pleure sur sa terrasse en est un bon exemple. Alors que le personnage domine chaque action du fim depuis le début, elle est ici assise, recroquevillée sur elle-même. Et Michael Douglas la domine : il est appuyé à la balustrade, les mains dans les poches. Pour la première fois, il a l'ascendant psychologique sur elle.

On retrouve cet élément à la fin du film : la dernière scène nous les montre en train de faire une première fois l'amour. Elle est sur lui, comme dans chaque scène de ce type depuis le début du film. Puis ils discutent, elle lui avoue son amour, abandonne l'idée de le tuer et... il passe au-dessus. Il ne s'agit plus là d'un acte de domination, mais d'échange (d'où l'importance des deux fois), qui

correspond visuellement à la notion de couple qu'ils sont en train de créer.

On peut également parler de la musique (magistrale!) du géant Jerry Goldsmith (qui avait déjà composé Total Recall en 1990). Abandonnant pour l'occasion son comparse depuis RoboCop Basil Poledouris, Verhoeven (peut-être sous l'impulsion du studio) trouve ici un compositeur à la mesure du métrage. Sa musique suit parfaitement le film et, à l'instar de l'image, se veut le témoin (parfois avec un brin d'avance) de l'état émotionnel des personnages. Se basant sur un thème lancinant inspiré par la musique de Bernard Herrman pour Sueurs Froides et par le Carnaval des Animaux de Camille Saint Saëns, Goldsmith joue sur le principe du leitmotiv, faisant varier chaque nouvelle itération en ampleur et vitesse. La musique implique intelligemment les personnages, et nous en dit beaucoup sur la trame. Ainsi, le thème principal (Main Title) est largement reprit et, si on l'assimile d'abord au meurtre et à la meurtrière (donc, à Tramell, pour le début), il se déplace pour venir, également, couvrir le personnage de Michael Douglas. L'union des deux personnages se fait donc dans un premier temps par la musique, dérangeante, angoissante (l'orchestration est la même entre le premier meurtre et la première fois que Nic et Catherine couchent ensemble). La construction du thème est d'ailleurs particulière au film : la reprise du même phrasé (à peu de choses près) tout du long, d'une manière immuable rythmiquement, renvoie au contrôle et à la manipulation, quand les dissonances dans les instruments à vent évoquent plutôt la déviance. C'est là aussi qu'intervient le dernier thème du film An Unending Story : le morceau reprend le Main Theme, mais gagne en amplitude, se faisant presque épique, laissant à nouveau se rejoindre les deux personnages, cette fois avec une passion presque lyrique.

Conclusion

On l'aura compris, Basic Instinct est loin de la caricature de film voyeuriste que l'on a décrit à l'époque. Au contraire, la position du voyeur qui se retrouve manipulé devient autant un aspect du scénario (lorsque cette position vise Nic) qu'un élément de l'oeuvre elle-même (lorsque cette même position vise le spectateur, manipulé par les personnages, reflets du réalisateur). Mais on comprend également mieuxle trouble ressenti par ceux qui l'ont visionné à l'époque : Verhoeven en fait leur cible directe. Certes, l'enquête existe parfaitement sans spectateurs. Mais ce sont eux qui donnent au film cette dimension supplémentaire. Leur jugement (sur Catherine, notamment, mais aussi sur Nic), leurs opinions et leur imagination sont tout entiers guidés par le réalisateur. On sort du cadre du film pour s'interroger sur le cadre moral des personnalités que l'on y a croisés, alors même que le sujet du film est la liberté elle-même. Tout revient au choix, arbitraire ou non, du plaisir. Peut-on être libres dans notre société de jugements? Et si oui, à quel prix?

On retrouve donc bien là les questionnements qui font toute la filmographie de Verhoeven, de la Chair et le Sang à Black Book : le choix intime, dénué de jugement moral, face à une société tout entière tournée vers son propre jugement.

C'est d'ailleurs aussi ce qui fait que le film fonctionne encore aujourd'hui, vingt-cinq ans après sa sortie : à une période où certains s'arrogent le droit de remettre en question la sexualité ou le mode de vie d'autrui, rappeler que ces questions ne concerne personne est d'actualité.

(1) Source : IMDB

(2) Source : Wikipedia

(3) Source : Version Française (VF) sur RS Doublage

(4) Je pars ici du principe que Catherine Tramell est bel et bien la meurtrière, pour simplifier. Néanmoins, comme expliqué plus bas, les choses sont plus complexes que cela.

(5) Vous pouvez trouver le script intégral ici : http://screenplayexplorer.com/wp-content/scripts/Basic-Instinct.pdf


 
 
 

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