(in)Adaptations
- Kevin Enhart
- 21 juin 2017
- 20 min de lecture
Il y a longtemps, et dans une galaxie lointaine (en fait, dans un amphithéatre Rennais), une collègue demanda à notre professeur ce que pouvait bien être une bonne adaptation.
"Une bonne adaptation est une blague. Une bonne adaptation est une mauvaise adaptation. Une trahison."
Alors que nous semblons (pas forcément à tort, mais pas à raison non plus) envahis par elles, les adaptations n'ont jamais suscité tant de discours.
Tentative d'explication, donc.
1- Définition
2- L'esprit de l'oeuvre adaptée
3- Les adaptations trop fidèles
4- Plaire au public
5- Conclusion

Définition
Basiquement, en cette guillerette période pré-estivale (oui, printannière, si vous voulez) de Bac de Philosophie, on peut dire que toute oeuvre est adaptation, puisque le moindre acte de création est déjà l'adaptation d'une idée.
Mais ce n'est pas ce qui nous anime ici. Parlons donc cinéma.
Une adaptation est donc le passage d'une oeuvre d'un médium artistique à un autre, suivant les codes qui lui sont propres.
Une adaptation cinématographique est un film basé sur une oeuvre existante telle qu'un livre, un jeu vidéo (ou une série), une série télévisée ou encore un dessin animé.
Une adaptation peut-être livre ou fidèle à l'oeuvre.
-Une adaptation libre est une adaptation dont de nombreux détails ont été changés comme la fin, ou certains événements importants. Des personnages ont aussi été rajoutés ou retirés.
-Une adaptation fidèle reprend l’œuvre dans les grandes lignes. (1)
En réalité, l'éventail entre ces deux extrêmes est relativement large, et on y trouve de tout. D'ailleurs, il n'est pas rare de trouver des adaptations à la fois fidèles et totalement libres, dans le sens où elles reprennent la plupart des éléments de l'oeuvre dont elles proviennent, mais avec des modifications dans la forme qui les rend en partie méconnaissables. La trahison dans la fidélité, quelque part.
Dans un sens, chaque tâcheron est capable d'écrire une adaptation cinématographique. On ouvre un bouquin, et on copie.
Prenons, par exemple, un extrait de ce bon vieil F. Scott Fitzerald :
Après le dîner, elle l'entraîna vers l'obscurité de la véranda et changea délibérément l'atmosphère.
- M'en voudrez-vous si je pleure un peu? demanda-t-elle.
- J'ai peur de vous ennuyer, répondit-il aussitôt.
- Pas du tout. Je vous aime bien. Mais j'ai passé un après-midi horrible. J'aimais un homme et, cet après-midi, de but en blanc, il m'a déclaré qu'il était pauvre comme un rat d'église. Il ne me l'avait jamais laissé entendre auparavant. Cela doit vous sembler trivial?
- Peut-être avait-il peur de vous le dire.
- Sans doute, répondit-elle. Il n'est pas parti du bon pied. Vous voyez, si j'avais pensé à lui dès le début comme à un pauvre - eh bien, j'ai été folle de tas d'autres hommes pauvres, avec la ferme intention de tous les épouser. Mais dans son cas, je n'avais jamais pensé à lui de cette façon, et mon intérêt pour lui n'était pas assez fort pour survivre au choc. C'est comme si une fille apprenait calmement à son fiancé qu'elle était veuve. Il pourrait ne rien avoir contre les veuves mais...
-Partons du bon pied, fit-elle avant de s'interrompre soudainement. Qui êtes-vous, pour commencer?
Pendant un instant, Dexter hésita. Puis :
- Je ne suis personne, annonça-t-il. Ma carrière est pour l'essentiel une question d'avenir.
- Êtes-vous pauvre?
- Non, dit-il franchement. je gagne probablement plus d'argent que n'importe quel homme de mon âge dans le Nord-Ouest. je sais que c'est une façon de parler plutôt détestable, mais vous m'avez dit de partir du bon pied.
Il y eut un silence. Puis elle sourit ; les coins de sa bouche s'affaissèrent et, en un mouvement presque imperceptible, elle se rapprocha de lui, le regardant dans les yeux. La gorge de Dexter se serra et, le souffle coupé, il attendit l'expérience, faisant face à l'imprévisible composé qui allait mystérieusement se former à partir de leurs lèvres. (2)
Ce qui donnerait en adaptation "littérale" quelque chose d'extraordinairement plat, immobile en ennuyeux. Un bon scénariste, de fait, modifierait les répliques pour leur donner un rythme qui serait, de fait, celui de la scène (et une extension de celui du film tout entier). Il y ajouterait du mouvement, qui mettrait en image le trouble du personnage de Judy (on la verrait par exemple s'asseoir, se relever, aller et venir dans la véranda, tourner autour de Dexter et se perdre dans ses propres idées...). En somme, rendre visuel cet extrait littéraire. Le rendre cinématoraphique.
Et c'est là que le bât blesse pour beaucoup d'oeuvres adaptées. Savoir garder l'esprit d'une oeuvre, sans le trahir, et l'intégrer à une oeuvre qui n'est pas elle, voilà le but d'une bonne adaptation.
Oubliez le fait que Harry Potter saute le petit déjeuner dans le film, ou qu'il manque la scène que vous aimiez tant dans l'adaptation de votre livre de chevet favori.
La question est : est-ce que l'esprit de ce livre que vous aimez tant se retrouve dans ce film?

L'esprit de l'oeuvre adaptée
Comme on l'a déjà vu, un film est le résultat d'idées et de connaissances de plusieurs artistes à la fois : scénaristes, réalisateur, directeur photo etc. Autant de personnalités qui rendent une oeuvre de cinéma toujours plus complexe qu'elle n'y paraît. D'où la difficulté lorsqu'il s'agit d'adapter une oeuvre préexistente (il en va de même pour ce qui est d'un remake, d'ailleurs).
La tâche du scénariste, alors, n'est plus simplement de créer une oeuvre, mais de créer une oeuvre sur un canevas déjà présent. Il doit réussir à s'approprier ce qui vient d'un autre, qui est l'image, le reflet de cet autre, et être capable de le prolonger de sa propre image. En faire son propre reflet.
Plus tard, il en va de même du réalisateur, qui doit s'approprier non pas une oeuvre pour en faire la sienne, mais deux : le scénario et l'oeuvre dont il est issu.
Au rayon des adaptations, on peut citer deux oeuvres exemplaires (parmi un millier d'autres), l'une libre et l'autre fidèle, mais qui ont comme lien d'être, toutes les deux, supérieures à l'oeuvre dont elles sont adaptées.
Pour commencer : Jaws (Steven Spielberg, 1975).
L'histoire est connue : de passage chez le producteur Darryl F. Zanuck, Spielberg tombe sur un exemplaire d'un roman qui n'est pas encore sorti, mais dont Zanuck a acheté les droits pour le compte de Universal. Spielberg vient de sortir Sugarland Express (son premier film cinéma), succès public et critique, et demande à lire la copie du roman. Zanuck accepte, à condition que Spielberg lui conseille quelqu'un pour le réaliser par la suite et que, si possible, il sorte pour Noël 1974.
Le roman n'est pas très bon. Bien qu'intéressant, il se perd en longueur et en clichés. De l'aveu même de Spielberg (3), l'adultère commis par la femme de Brody, les liens avec la mafia et d'autres backstories le gênent. Mais la lutte entre l'homme et l'animal le fascine. Et pour cause! Il y voit le prolongement du téléfilm qui l'a rendu célèbre : Duel (1972).
Il se propose donc pour réaliser le film, et accepte que l'auteur du roman, Peter Benchley, écrive le scénario.
Malheureusement, le premier jet est largement décevant pour Spielberg. La lutte homme / animal se limite à une simple bataille au fusil à la fin du métrage. Spielberg demande donc des modifications, que Benchley peine à effectuer.
Voilà où je voulais en venir : Créateur de l'oeuvre originale, Benchley sait ce qu'il a en tête, et comment il imagine son histoire. Pour lui, tout est lié. L'adultère fragilise Brody (qui ne peut recouvrer sa virilité et son amour propre qu'en combattant le requin), la mafia met en péril les habitants d'Amity et les touristes pour des raisons purement financières etc. C'est logique du point de vue de sa création.
Mais pas de celle de Spielberg, qui y voit d'autres choses, puisque son esprit est à la fois celui du lecteur et de celui qui va créer quelque chose de nouveau à partir de là.
Spielberg obtient de Zanuck le droit d'embaucher Carl Gottlieb, dont ce sera le premier poste de scénariste (ce ne sera pas le coeur de sa carrière) pour réécrire le scénario, avec sa propre participation (non créditée, ce qui sera d'ailleurs un élément récurrent de sa carrière). Ils retirent donc tout ce qui les "gêne", remettent en place l'hydrophobie de Brody (que Benchley avait retirée, la trouvant stupide pour un personnage vivant sur une île), et y ajoutent plusieurs scènes, dont celles avec les enfants de Brody, et le dîner arrosé en compagnie d'Ellen Brody.
Contrairement à la littérature qui peut (et, si l'on en croit Stephen King, qui doit (4)) prendre le temps de l'émotion, le cinéma doit, lui, passer par l'image, qu'elle soit réelle ou métaphorique, pour avancer. L'allégorie et la symbolique sont au coeur de cet art, et sont deux choses que Spielberg maîtrise parfaitement (sinon, je ne l'aurais pas pris comme exemple, cela va de soi).
Ainsi, la lutte entre Brody et le requin (sa quête, à la fois personnelle et professionnelle) se fait en rapprochant au fur et à mesure du film le personnage de l'eau (sa véritable Némésis), jusqu'à ce que sa phobie ne s'évanouisse pour affronter le squale. C'est par là que le personnage de Quint pêche, d'ailleurs : confiant, sans peur, il ne peut que mourir dans cet élément qu'il sous-estime. Le but ultime de Brody est également de sauver sa famille - un but qui se serait vu brouillé si la liaison entre Ellen et Hooper avait été conservée.
De même, supprimer les liens entre la mafia et le maire d'Amity fait que la bourgade ressemble maintenant à n'importe quelle zone balnéaire, et le maire à n'importe quel maire d'une telle zone. Un élément qui, de fait, renforce l'identification du public aux personnages.
On le voit : pour adapter Jaws, Spielberg est allé non seulement puiser dans le roman, mais également dans des thématiques qui, on ne l'imagine pas encore en 1975, deviendront sa marque de fabrique : l'enfance, la quête de la sécurité familiale etc. D'ailleurs, Jaws est généralement considéré comme la première partie de ce que l'on pourrait appeler Trilogie Familiale de Spielberg, qui comprendrait en outre Rencontres du 3ème Type (rupture familiale) et E.T. (renouveau familial), ces trois oeuvres consistant à chasser un monstre, avant de partir en quête de lui et, finalement, de le comprendre (comme je le disais, en cinéma on n'est jamais très loin de la métaphore, et celle-ci est particulièrement forte chez Spielberg).
Une trahison du matériau original, donc, qui permet à Spielberg de s'approprier l'oeuvre de Benchley pour en retirer une qui lui est propre et qui, plus de quarante ans plus tard, reste associée à son nom.
Le second exemples est Psycho (Alfred Hitchcock, 1960), cette fois une adaptation extrêmement fidèle au roman de Robert Bloch. Comme pour le Jaws de Peter Benchley, le roman de Bloch, sans être mauvais, est assez plat, et manque cruellement de relief. Clairement, c'est l'idée de l'histoire qui séduit l'auteur, mais son style trop proche de la littérature pulp est un défaut. En tout cas, pour ce que l'on attend d'un roman (ses nouvelles, justement parues dans Weird Tales et autres magasines feuilletonnants sont excellentes, et en particulier celles écrites avec Ray Bradbury).
Hitchcock découvre Psycho durant la post-production de La Mort aux Trousses, et se prend d'affection pour le livre (qui a déjà par ailleurs un certain succès). En proposant la production à la Paramount, il décide de le produire avec la même équipe que sa série Alfred Hitchcock Présente, et en noir et blanc pour réduire le budget au minimum (un million de Dollars au final). Le premier scénariste engagé (James Cavanagh, déjà scénariste sur Alfred Hitchcock Présente) étonnament, s'éloigne du roman pour retourner à sa source : l'histoire du tueur en série Ed Gein, qui a inspiré Bloch. Hitchcock trouve le scénario ennuyeux, trop psychologique et trop centré sur Norman Bates. Des années plus tard, Hitchcock confiera que, passé Le Parrain ou French Connection, il aurait adoré voir cette version du script (5). On propose donc Joseph Stefano à Hitchcock, qui refuse d'abord avant de se laisser séduire. L'idée de Stefano est simple : garder absolument toute l'intrigue du roman, mais la découper plus soigneusement. Son problème étant de cacher le fait que la mère de Norman Bates est morte depuis longtemps (ce qui ne posait pas de souci à Bloch dans les conversation en Norman et elle, puisqu'il lui suffisait de ne pas le dire). Stefano recentre donc le début de l'intrigue sur Marion Crane, avant de n'amener à la découverte de Bates et de lancer la seconde (et véritable) intrigue. Hitchcock apprécie, et décide d'engager une star (ce qu'il n'aime généralement pas faire) pour le rôle de Marion, en la personne de Janet Leigh (Un Crime dans la Tête, de John Frankenheimer, en 1962, et mère de Jamie Lee Curtis).
Ici, le travail de Stefano a été de compléter le roman. On y retrouve bien le personnage de Marion Crane mais, lorsque celle-ci arrive dans l'histoire, elle est déjà désignée comme une victime de Norman, que nous connaissons déjà puisqu'il ouvre le roman. Ajouter au personnage de Marion sa liaison avec un homme marié et le vol de l'argent ne fait qu'ouvrir une porte supplémentaire, et permet à Hitchcock de "perdre" les spectateurs avec une fausse intrigue (l'argent disparaissant avec la voiture de Marion dans le marais).
Dans ces deux cas, aucune des adaptations n'est totalement fidèle à l'oeuvre dont elle provient, et nous verrons ce point juste après. La raison est simple : on ne créée pas de la même manière selon le médium que l'on utilise. Ce qui peut être bien dans un livre peut ne pas l'être dans un film, et vice-versa.
Et l'oeuvre d'origine dans tout ça? Elle continue, bien évidemment, d'exister. Si Peter Benchley n'a jamais caché qu'il n'était pas fan des modifications apportées par Spielberg et Gottlieb à son roman, il a admit que le film était excellent, mais a tout de même demandé un véritable contrôle sur ses suites (avec le succès que l'on connait). Pour Robert Bloch, le film a propulsé sa carrière ; il a écrit plusieurs scénarii de la série Alfred Hirchcock Présente, ainsi que de Star Trek.
Mais là, c'est une question d'ego. Force est de constater que tout ce qui faisait les romans dont sont issus ces deux films se retrouve bel et bien dans les films.
Les Adaptations et la fidélité
Au milieu des années 1990, les fans ont commencé à supplanter les habituels coureurs de salles. Internet permettait pour la première fois aux geeks de se réunir en une communauté soudée, alors même que les studios voyaient en eux, pour la première fois, un vecteur financier important. C'était également la première fois que l'on voyait dans des franchises prévues un moyen de gagner de l'argent à plus ou moins long terme.
Certes, les suites ont toujours existé - on peut remonter au Fils de Kong en 1934, par exemple. Mais le succès limité de certaines franchises (Star trek, par exemple) au cinéma avait toujours laissé croire que leur phénomène n'était que limité à une catégorie de public assez limitée.
Lorsque sort le premier roman de Harry Potter en 1997 (poutre! il y a déjà vingt ans!!!), son acquisition par les studios Warner est quasi immédiate tandis que, dans le même temps, Peter Jackson signe avec New Line pour réaliser l'adaptation du Seigneur des Anneaux, et que Bryan Singer est annoncé pour réaliser le premier film adapté du comics X-Men.
Les deux premiers, s'ils sont annoncés avec beaucoup de joie parmi leurs (nombreux) fans, attisent également l'inquiétude : les films seront-ils fidèles aux romans? Aurons-nous droit à des réécritures "dénaturant" les oeuvres dont ces films seront issus?
A une toute autre époque, la question ne se serait pas posée : personne n'est venu demander des comptes à Ridley Scott lorsqu'il réalisa Blade Runner (qui, en même temps, fut un bide au cinéma, en raison des changements apportés au film par le studio). Et même 35 ans plus tard, le film est considéré comme l'un des chef-d'oeuvre du 7ème art, quand bien même il ne reprend qu'une partie de la trame du roman dont il est issu, et y apporte une conclusion décidée par Scott. Idem pour Nosferatu (1922, Friederich Murnau), libre adaptation du Dracula de Bram Stocker, largement au-dessus de toutes les adaptations, y compris fidèles, qui ont pu être réalisées depuis (même celle de Francis Ford Copolla en 1992 et qui, pourtant, est également un chef-d'oeuvre).
Mais plus à l'aube des années 2000.
Suivant de près les fans de Tolkien sur Internet, Peter Jackson, avec ses co-scénaristes Philipa Boyens et Fran Walsh, s'assure que tout ce qui pourra trouver sa place dans le film y sera. Il est impensable de modifier en profondeur quoi que ce soit, ou d'y imprimer une marque qui serait autre que celle de Tolkien, sous peine d'attiser la colère des fans. Ainsi, si certaines concessions sont faites (Tom Bombadil disparaît, une partie de la trame des Deux Tours est transférée dans le Retour du Roi, et ce même opus voit la disparition de la bataille de la Conté, par exemple), tout le reste persiste, moyennant quelques modifications dans les dialogues (difficile d'imaginer le style ampoulé de Tolkien sur grand écran sans faire rire).
Il en ira de même avec les Harry Potter qui, malgré quelques coupes ici ou là (en particulier dans le cinquième film, dont le roman est particulièrement volumineux), gardent en eux-même toute la trame des romans, parfois jusqu'au ridicule.
C'est là la limite de l'exercice car, comme je le disais plus tôt, toutes les bonnes idées d'une oeuvre ne le sont plus forcément une fois sur grand écran.
Prenons par exemple les fins multiples du Seigneur des Anneaux : le Retour du Roi. Nécessaires dans les romans, puisque chacune achève une trame narrative, elles s'y déroulent pourtant au milieu d'autres évènements qui viennent les ponctuer (la bataille de la Conté, par exemple). Au cinéma, nous assistons donc à trente minutes de fausses fins qui n'en finissent pas, depuis le fondu au blanc avec les Aigles jusqu'au réveil de Frodon, au couronnement d'Aragorn, au retour de Frodon et des ses amis dans la Conté, le départ vers le Havre Gris et, finalement, le dernier retour de Sam à la Conté. C'est trop. Trop lent, on ne peut y donner un rythme valable (et encore moins Peter Jackson à l'époque, dont la tâche de réaliser trois films en une fois était trop lourde) etc. Idem pour le final de Harry Potter et les Reliques de la Mort, dont le respect du livre va jusqu'à tourner la scène (inutile!) du départ des enfants de Ron, Harry et Hermione à Poudlard, quelques années plus tard. Passe encore la transformation cosmétique, mais cette fin apparaît tout simplement risible et malvenue dans un film. C'est un cliché cinématographique sur lequel les scénaristes auraient parfaitement pu faire l'impasse - ou inventer une nouvelle fin.
A titre de contre-exemple, Mist (Frank Darabont, 2007) est une adaptation fidèle du roman éponyme de Stephen King... sauf pour ce qui est de la fin. Dans le roman, le personnages disparaissent dans la brume, et King explique que nul ne sait ce qu'il advint d'eux. Ca marche, dans un roman. C'est une fin parfaite. Lorsque Darabont écrivit le permier jet du scénario et en reçut les premiers storyboards, il se rendit rapidement compte que cette fin ne pourrait jamais marcher au cinéma. Comment faire comprendre au public que s'échapper de la supérette ne permet en rien d'échapper à la fatalité? Il appelat donc Stephen King (les deux sont très amis depuis Les Evadés en 1994), et lui demanda la permission de modifier la fin. King accepta, refusa de connaître cette nouvelle fin, et laissa Darabont retourner à son ouvrage. La nouvelle fin, qui voit donc les personnages se suicider et tuer leur fils alors même qu'ils ignorent que l'armée à reprit le contrôle de la situation et qu'ils sont sauvés, est donc tournée et... elle est parfaite au cinéma. Son impact et son cynisme clôturent parfaitement un film dont la trame est la notion d'espoir, tandis qu'elle aurait perdu de sa soudaineté dans le roman.
Dans un sens, les démarches de Peter Jackson et David Yates (et des autres réalisateurs de Harry Potter) sont louables : elles consistent à donner aux fans ce qu'ils attendent, soit une relecture stricte des oeuvres qu'ils ont aimées. Ca rassure les producteurs et les studios : les fans hardcore suivront. Puis, si l'aspect artistique suit, alors le reste du grand public arrivera aussi. Mais il faut que ces oeuvres aient quelque chose d'artistique ou, tout du moins, de cinématographique à proposer, et ne soient pas qu'un vulgaire calque du matériau d'origine. Sur Lord of the Rings, le statut totalement indépendant de Peter Jackson a fait la différence, ainsi que sa volonté de prendre en main tous les aspects visuels de la saga - y compris Gollum, personnage récompensé d'un Oscar. Idem pour les Harry Potter qui, s'ils sont de purs produits de studio, n'en restent pas moins centrés sur une démarche artistique réelle, à savoir léguer chaque opus (ou presque) à un réalisateur différent, souvent issu du cinéma indépendant. C'est ainsi que le grand public découvrira Alfonso Cuaron (Les Fils de l'Homme, 2006) ou David Yates (majoritairement issu de la télévision).
Mais c'est ce que l'on pourrait qualifier d'adaptations à l'ancienne. Bien sûr, chaque adaptation est, à priori, différente. Mais, en réalité, pas tant que cela. Il y a plus de points communs entre les adaptations de, mettons, Jane Eyre et de Jurassic Park qu'il n'y paraît. Non pas dans les trames, mais dans la manière dont celles-ci sont amenées au cinéma.
Pour Jurassic Park, pour prendre l'exemple le plus célèbre, on ne peut être plus éloigné du matériau d'origine.
Les personnages, déjà : dans le roman, John Hammond est, certes, un vieillard excentrique, mais surtout un homme extrêmement cynique, qui n'invite ses petits enfants que pour convaincre Donald Genarro, l'avocat. Il meurt, d'ailleurs, signe de sa propre décadence. Alan Grant, le paléontologue, est un barbu célibataire d'une cinquantaine d'années, qui apprécie largement les enfants et s'émerveille devant leurs capacités de découverte. Dans le film, il est en couple avec Ellie Sattler, et déteste les enfants. Ian Malcolm, s'il est sarcastique, est somme toute d'avantage un scientifique dans le roman et, d'ailleurs, en partie le narrateur (chaque partie commence par une analyse visuelle de la situation au travers de schémas fractales). Le film est également expurgé d'une bonne part d'éléments propres au roman : le questionnement du clonage et de l'amélioration des animaux pour qu'ils ressemblent à ce dont le public a en tête, la quête du nid des raptors, prouvant que ceux-ci peuvent se reproduire et s'évader de l'île etc. Autant d'éléments que les spectateurs du film qui n'avaient pas lu le livre ont pu découvrir avec plaisir.
Là encore, la différence est purement artistique : le roman de Michael Crichton traite de technique scientifique. Son sujet est la moralisation des fonds privés : que peut-on faire ou pas? Qu'avons-nous le droit de faire ou pas? Le film, lui, traite évidemment certains de ces éléments (voir les questionnements des différents protagonistes durant le repas), mais se révèle surtout une image du cinéma porté par Spielberg. Ce qui explique que John Hammond perde son cynisme (il est l'image du réalisateur ici), que Grant apprenne à aimer les enfants, etc. Les dinosaures sont la métaphore (assumée et plusieurs fois commentée) de ce qu'ils sont réellement : des effets spéciaux. Et à Spielberg de craindre ce moment où la quête financière prend le pas sur la quête d'émerveillement de la part des studios et du public. D'ailleurs, celui qui rêve, Hammond, est indépendant : il finance de lui-même son île, son parc et toute la technologie qui va avec. Il représente à lui-seul les rêves de toute la Nouvelle Vague Américaine. Quand son ennemi, Lewis Dogdson, représente les fonds d'investissement, la quête de la facillité et de l'argent. Les studios, ou ce que Spielberg (et d'autres, dont Scorcese) sentent qu'ils deviennent. S'en suivra un lourd aveu d'échec, avec Jurassic World : certes, le film cartonne. Mais il est un pur produit de studio, sans âme, et sa créature abâtardie est à l'image du film : elle est là pour être plus grosse, donner plus de frissons et, en définitive, ramener plus d'argent. Le personnage le plus proche de Spielberg, Simon Masrani (un génial Irrfan Khan), meurt stupidement, ses grandes idées en tête. L'image du Spielberg vieillissant que, malgré tous ses efforts, sait qu'il ne peut éternellement repousser les système des studios qu'il a combattus durant quarante ans (on en prendra pour preuve la revente d'une partie de DreamWorks à un consortium Indien, et sa filiation pour plusieurs productions avec Disney).
Comme je le disais plus haut : si vous avez quelque chose de plus à dire que ce qui est dans le médium que vous adaptez, alors vous avez de quoi faire un bon film. Sans quoi, autant laisser l'oeuvre où elle est.
Plaire au public
Le cinéma n'est pas un art plastique en soit. Il est certes, comme n'importe quel domaine, artistique ou non, régit par des lois qui lui sont propres, et auxquelles on ne peut - en théorie - déroger. Mais, contrairement aux poèmes qu'écrit la cousine Winifred dans son journal intime, les films doivent plaire au public. Au moins un peu, suffisamment pour se renflouer, voire permettre aux producteurs qui s'y sont engagés de pouvoir produire d'autres films dans le futur. En théorie, ça peut se résumer à ça. Bien sûr, on peut y ajouter les studios, qui doivent présenter à leurs actionnaires des chiffres en perpétuelle hausse, et autres joyeusetés. Et on en parlera, bien sûr.
Mais voilà le nerf de la guerre : plaire au public. Vous pouvez, évidemment, pondre un chef-d'oeuvre qui déplaira au public. Pier Paolo Pasolini a eu Salo, oeuvre magistrale, magnifique... mais insoutenable. Mais c'est à vos risques et périls, et peu de producteurs vous suivront.
Alors... comment plaire au public en prenant le minimum de risque?
La recette, quoi que casse-gueule, est finalement assez simple : prenez une oeuvre appréciée du public, ou qui évoque quelque chose pour lui, et adaptez-là, de la manière la plus linéaire qui soit.
Réduisez les coûts de production : tournez en République Tchèque (moins chère, et où les techniciens sont excellents). Embauchez un réalisateur inconnu (et pas très bon), que le succès espéré rendra bankable. Idem pour les acteurs, mais choisissez bien les seconds rôles : ils seront votre conscience cinématographique.
Et donnez aux spectateurs ce qu'ils veulent. Ce qu'ils espèrent.
Si ça marche, faites en toute une série.
L'important, pour gagner de l'argent, est de plaire à tout prix. Et c'est là que l'adaptation tombe dans ses pires travers. On est loin de Minority Report (Spielberg, 2002), adapté d'une nouvelle de 80 pages, ou de Un Elève Doué Brian Singer, 2001), aussi librement que magistralement adapté d'une "novella" de Stephen King. Adaptez une série nostalgique des années 80, même nulle, et vous êtes certain de gagner. Baywatch sort ces temps-ci, d'ailleurs, avec l'ineffable Dwayne Johnson en tête d'affiche (sans doute pour ne pas faire regretter le jeu de David Hasselhoff). Ou prenez des comics. Un genre inadaptable, par nature, tant certains arcs narratifs s'étendent sur des dizaines de numéros. Mais reprenez-en les principaux éléments, rendez-les accessibles au plus grand nombre, et ça marchera.
Souvenez-vous : Deadpool est subervsif. Il a de l'humour noir, il s'en fout d'être blessé et il aime le gore. Certes, Hancock est dans la même veine, sans être une adaptation. Certes, on a déjà vu ces éléments mille fois. Un million de fois. Mais on parle d'un comic book ici et, si le matériau est considéré comme subversif dans son genre, alors le film l'est aussi, par extension, dans l'oeil du spectateur. Même si ce n'est absolument pas le cas.
L'évolution des moeurs cinématographiques a largement fait évoluer le public vers un registre où il est devenu interdit de trahir quoi que ce soit de l'oeuvre qu'il a appréciée. Tant pis pour l'originalité. Quelle tête auraient Men In Black (Barry Sonnenfield, 1997) ou The Mask (Chuck Russell, 1994) s'ils étaient adaptés aujourd'hui? Sachant que ces deux comics sont, à l'origine, plutôt morbides et gores. Pire, le comics MIB n'est même pas focalisé sur les aliens!
Regardons par exemple une adaptation comme Batman V Superman (hein? Quoi?). Le film a été plutôt bien apprécié par la critique, observé avec une attention dont ne peuvent même pas rêver les Marvel et son réalisateur, Zack Snyder, est également bien apprécié par la profession, qui loue largement chez lui un sens de l'image et de la réalisation enviables. Mais pas chez les fans de comics, où il est haï au possible, au point que, lorsqu'il annonça son départ du film Justice League suite au décès de sa fille, on vit fleurir sur les réseaux sociaux bon nombre de messages ravis ou, au contraire, déçus que celle-ci ne se soit pas suicidé plus tôt. Parce que Snyder (comme Nolan avant lui, comme Schumacher ou Burton encore avant) s'est approprié le personnage pour lui faire dire ce qu'il souhaitait. Il a prit le matériau, l'a transformé à sa vision et en a rendu ce qu'il y voyait. C'est à dire qu'il l'a, tout simplement, adapté, et non copié. Si Christopher Nolan n'a pas particulièrement eu à subir les fans (beaucoup sont passé à côté de Batman Begins, pourtant généralement considéré comme le plus intéressant de la trilogie), Schumacher et Burton, eux, y ont eu droit. En 1989, le premier Batman fut détesté, lui aussi, car trop sombre, trop gothique, et trop éloigné du personnage des comics - avant de devenir une référence absolue pour toute la génération qui, elle, découvrait ces comics (et en veut maintenant à Snyder). Schumacher fut également détesté alors que, ironiquement, le ton de ses deux opus était largement plus proche du matériau de base (humour idiot inclus).
Conclusion
Le fait que ces films (et beaucoup de films, en réalité) ne parlent pas forcément à un public qui n'a plus l'habitude du langage cinématographique. Pour une population habituée au binge-watching de séries télé trop bavardes et, pour beaucoup, tournées avec les pieds en 8 jours, la symbolique d'un silence, d'un hochement de tête ou d'un simple mot n'a aucune valeur. Il ne s'agit pas de génération, mais d'habitude, ici. Invitez un habitué des fast-foods au George V, et il y aura des chances qu'il réclame un burger au ketchup en se plaignant de la cuisson des frites.
Mais ces films, à l'instar des fast-food n'entrent pas dans la même lignée du cinéma. Hormis quelques Oscars techniques ici ou là, aucun film Marvel ne prétend concourir aux côtés de Winding Refn ou de Denis Villeneuve. Ce cinéma là est à part.
Il y a fort à parier que ce genre de films continuera à trôner au sommet du box office durant quelques années, avant que le style ne s'essouffle ou ne prenne une nouvelle direction.
Et les adaptations resteront encore (toujours?) partagées entre celles destinées à faire gagner de l'argent à quelques promoteurs, et celles destinées à raconter une histoire.
En attendant, tout est toujours bon à voir, à condition de ne pas oublier que, quand on entre dans un McDo, c'est pour manger du McDo.
(1) Source : Wikipédia
(2) F. Scott Fitzerald, Rêves D'Hiver, traduit par Juliette Hirsch et Frédéric Hosteins. Editions El Pais S.L.
(3) Cf le Making Of de Jaws, présent sur l'Edition Blu-Ray
(4) in Ecriture, Mémoire d'un métier, Editions Robert Laffont
(5) in Hitchcock, François Truffaut, Editions Robert Laffont
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