The Dark Knight - Trilogie
- Kevin Enhart
- 26 nov. 2017
- 33 min de lecture

Titres original : Batman Begins - The Dark Knight - The Dark Knight Rises
Réalisation : Christopher Nolan
Scénario : Christopher Nolan et David S. Goyer, basé sur une histoire de David S. Goyer (Batman Begins) - David S. Goyer, d'après une histoire originale de Christopher Nolan et Jonathan Nolan (The Dark Knight) - Christopher Nolan et Jonathan Nolan, d'après une histoire originale de Christopher Nolan et David S. Goyer (The Dark Knight Rises) d'après les personnages de DC Comics créés par Bob Kane et Bill Finger
Direction artistique : Nathan Crowley
Costumes : Lindy Hemming
Photographie : Wally Pfister
Sociétés d'effets spéciaux : Double Negative, Cutting Edge, Moving Picture Company, BUF, Rising Sun Pictures (en), The Senate Visual Effects, Jim Henson's Creature Shop
Son : Peter Lindsay
Montage : Lee Smith
Musique : Hans Zimmer et James Newton Howard (Batman Beins & The Dark Knight) - Hans Zimmer (The Dark Knight Rises)
Production : Emma Thomas, Charles Roven, Larry J. Franco, Benjamin Melniker, Michael E. Uslan et Cheryl A. Tkach
Sociétés de production : Warner Bros.,Legendary Pictures, Syncopy Films, DC Entertainment et Patalex III Productions
Société de distribution : Warner Bros.
Pays d'origine : États-Unis, Royaume-Uni
Budget total : 150 000 000 USD - 185 000 000 USD - 250 000 000 USD
Format : Couleurs (Technicolor) - 35 mm (Kodak - Fujifilm) - 2,35:1 (Panavision) - IMAX - 70 mm - DTS / SDDS / Dolby Digital
Genre : super-héros, fantastique, action
Durée : 134 minutes - 153 minutes - 165 minutes (1)
Christian Bale (VF : Philippe Valmont) : Bruce Wayne / Batman
Michael Caine (VF : Frédéric Cerdal) : Alfred Pennyworth
Liam Neeson (VF : Claude Giraud) : Henri Ducard / Ra's al Ghul
Katie Holmes (VF : Alexandra Garijot) : Rachel Dawes
Gary Oldman (VF : Vincent Violette) : Jim Gordon
Morgan Freeman (VF : Benoît Allemane) : Lucius Fox
Cillian Murphy (VF : Mathias Kozlowski) : Dr Jonathan Crane / L'Épouvantail
Tom Wilkinson (VF : Philippe Catoire) : Carmine Falcone
Heath Ledger (VF : Stéphane Ronchewski ; VQ : Gilbert Lachance) : Le Joker
Eric Roberts (VF : Michel Vigné) : Salvatore Maroni
Nestor Carbonell (VF : Franck Capillery) : le maire de Gotham City
Colin McFarlane (VF : Olivier Cordina) : le commissaire Gillian Loeb
Michael Jai White (VF : Gilles Morvan) : Gambol, le mafieux afro-américain
Anne Hathaway (VF : Caroline Victoria) : Selina Kyle / Catwoman
Tom Hardy (VF : Jérémie Covillault) : Bane4
Marion Cotillard (VF : elle-même) : Miranda Tate / Talia Al Ghul
Joseph Gordon-Levitt (VF : Alexis Victor) : Robin John Blake (1) (2) (3)
1/ Résumé
2/ Avant le Commencement : Dix ans plus tôt
3/ Christopher Nolan : l'homme providentiel
4/ Batman Begins : Retour aux sources
5/ The Dark Knight : Entre indépendance et grand spectacle
6/ The Dark Knight Rises : Concerto inachevé
9/ Conclusion

Résumé
Batman Begins - Ayant assisté, impuissant, au meurtre de ses riches mais pas pare-balle parents, le jeune Bruce Wayne, traumatisé, hésite entre la vengeance et l'autoflagellation. Devenu adulte, il fuit Gotham City pour parcourir le monde. C'est au Tibet qu'il rencontrera Rha's Al Ghul, justicier un brin extrémiste et fêlé, accroc aux fleurs bleues qui font rire, et son second, Ducard. L'entraînant moralement et physiquement à rejoindre la Ligue des Ombres, celui-ci devient son mentor, avant que Wayne ne décide que, finalement, il ne rejoindra pas le clan des illuminés (il faut dire qu'il a moins bouffé de fleurs bleues). De retour à Gotham, il décide de rebâtir sa vie autour du personnage de Batman, justicier heureusement aidé de son majordome, et d'un ingénieur en R&D. C'est le moment que choisit Ducard, ou Rha's Al Ghul, pour revenir avec l'idée de détruire Gotham, en compagnie d'un autre fêlé ; le professeur Crane, alias l'Epouvantail. Tout finit bien, du coup, sauf que Wayne n'emballe pas Rachel, se souvenant que c'est cette tarte de Katie Holmes.
The Dark Knight - Bruce Wayne s'éclate en tant que Batman, mais s'ennuie en tant que Wayne. Ce que son entourage considère comme un problème. Mais un autre problème surgit bientôt : le dépressif Heath Ledger, alias le Joker, qui embobine la pègre, joue avec la vie et les nerfs de flics etc. Autant dire que Batman a du boulot, d'autant que, en tant que Bruce Wayne, il est coincé entre Rachel qu'il essaye de récupérer (Maggie Gyllenhal, tout de suite plus de classe que Holmes), et le copain de celle-ci qu'il essaye de promouvoir. N'étant pas chez Disney, ça tourne en sucette (explosive), et ça finit mal. Mais quand même pas trop. Mais un peu, tout de même.
The Dark Knight Rises - Huit ans ont passé depuis que Batman a disparu. Bruce Wayne avec, à demi invalide, terré dans son manoir à ruminer sur son passé en essayant de se convaincre qu'il est un type bien. C'est un costaud masqué sous codéine, Bane, qui forcera Batman à sortir de sa retraite anticipée, après avoir presque tué le commissaire Gordon.Sauf que Bane a un plan, qu'il est intelligent et plus dur que tout ce que Wayne aurait pu envisager. Pas vraiment de taille a lutter, Batman se retrouve brisé, et incapable de défendre Gotham. Il n'aura d'autre choix que de se sacrifier pour elle. Ca finit donc mal, mais bien.
Avant le Commencement : Dix ans plus tôt
1995. Alors qu'il cartonne au box-office, Joel Schumacher (Génération Perdue, 1987), toujours produit par un Tim Burton qui n'a pas froid aux yeux, enchaîne avec Batman & Robin. La production se passe à merveille, la Warner est ravie de ce qu'elle voit, d'autant que le succès public de Batman Forever (qui plaît aux fans du comics, car plus proche de celui-ci que les deux opus de Burton) permet sans souci de prévoir un futur glorieux au studio et à la franchise. Le scénariste Akiva Goldsman (Un homme d'exception, de Ron Howard, 2001) abandonne le navire, mais est rapidement remplacé pour la production d'un troisième film, prévu pour 1999. Tout va bien, et une dizaine de millions de Dollars sont investis dans ce nouvel opus.
Jusqu'à la sortie de Batman & Robin. Si les critiques avaient pu juger Batman Forever intéressant, elles s'étaient pour beaucoup demandé où étaient passés les talents de Schumacher et Goldman. Le film était bordélique, trop gros, ressemblait à une BD pour gosses décérébrés. Mais il était sympathique. Cette fois, rien ne peut sauver le film. Ou son réalisateur. Ou son scénariste. Même le casting en prend un coup. Le film est une ruine intellectuelle et artistique. Un échec. Seul point positif : les 140 millions de coûts de production (l'un des plus gros budgets de l'époque) sont facilement renfloués, le film en rapportant presque 240 (1).
Les boss de la Warner sont en PLS. En vain, ils cherchent un matériau plus simple à adapter : un titre direct. On évoque des films d'animation, dont Batman : Year One de Frank Miller. On évoque aussi Wolfang Petersen (Das Boot, 1981), auréolé du succès de films comme Alerte (1995) ou Dans la ligne de mire (1993) pour réaliser un potentiel Batman Vs Superman. On cite également Clint Eastwood pour réaliser et interpréter un Chevalier Noir vieillissant, ou les frère (depuis devenues des soeurs) Wachowski. Tout le monde refuse. La Warner revoit le budget à la baisse par crainte de pertes trop importantes puis, à l'aube des années 2000, enterre publiquement le projet.
Publiquement uniquement. Dans les coulisses, la Warner cherche encore. Certes, elle possède la franchise Harry Potter, qui cartonne (c'est rien de le dire). Elle a aussi les Matrix (en partenariat avec Village Roadshow Pictures). Mais rien dans cette catégorie, et le succès des X-Men de Brian Singer montre que les segment existe bel et bien.

Christopher Nolan : l'homme providentiel
En parallèle, dans un milieu totalement différent, le jeune réalisateur Britannique Christopher Nolan se fait un nom et une réputation d'acier au sein des critiques et des observateurs. Ses deux précédents films, Memento et Insomnia, malgré un succès public limité, reçoivent un stock de récompenses et de nominations qui touche à l'excellence. Mais son nom est encore suffisamment petit (et donc son cachet) pour permettre à la Warner de l'approcher. D'autant que, ce n'est pas rien, l'homme est également un scénariste plus qu'habile. Avec son sens du visuel et de la construction narrative, le studio espère égaler (voire dépasser) le succès public et critique de Brian Singer à la Fox.
Il faut être honnête : le genre superhéroïque est considéré comme plus proche du film pour enfants mal ficelé que du véritable cinéma. Jusqu'à Singer, personne n'imagine ne serait-ce qu'une nomination aux Oscars. Mais, quand ça marche, ça rapporte de l'argent.
Nolan est donc embauché en 2003, avec un budget mirifique de 150 millions de Dollars. Avec son accord, le scénariste David Goyer (Dark City, de Alex Proyas, 1999) est embauché dans la foulée, et ils écrivent le scénario à quatre mains.
Nolan l'annonce dès le départ à des pontes qui, de toute façon, ne savent pas dans quelle direction aller : son Batman ne sera pas une redite. Et il se fout du super-héros. Il veut raconter Bruce Wayne, dont l'ennemi est Batman, dont les ennemis sont ceux qui l'empêchent de redevenir lui-même. En gros. Tous les coups sont permis : le film sera crépusculaire, soigné, et intellectuel. S'il faut de l'action, il y en aura, mais Nolan s'en balance aussi. Il parvient à faire engager toute son équipe habituelle, à commencer par le directeur de la photographie Wally Pfister (qui travaille sur tous ses films). Il impose Christian Bale dans le rôle-titre, contre l'avis du studio, et un stock de tronches à Oscars pour les seconds rôles. Nolan veut James Newton Howard pour composer le score de son film, Warner veut Zimmer. Coup de bol, les deux hommes s'entendent à merveille et, moyennant une baisse de salaire de Zimmer et la promesse de l'utilisation de son propre studio permet au réalisateur d'avoir les deux. Une première (pour ce que j'en sais), en tout cas du vivant d'un compositeur. Le studio est enthousiaste, mais Nolan, et Goyer, ne veulent pas mettre en place une trilogie immédiate. S'ils se laissent des portes ouvertes et caractérisent les personnages de manière à leur laisser des moyens d'expressions pour plus tard, il ne veulent écrire qu'un film à la fois. Nolan, à ce moment, n'est même pas convaincu de faire une suite, tant il craint que son approche du personnage ne déplaise au public (et donc, au studio), et qu'on lui impose un film plus "Batman" que ce qu'il a en tête. En quête de sécurisation, le réalisateur fait intervenir sa propre société de production (Syncopy Films), via son épouse et co-productrice Emma Thomas. En échange de ces largesses, il accepte un contrat de trois films (hors Batman Begins) avec Warner, la présence de Katie Holmes, à l'époque en vogue (sans doute en grande partie grâce à son mariage avec Tom Cruise). Viennent également quelques décisions du studio sur la distribution du film, mais qui ne seront réellement marquées qu'à partir de The Dark Night.
Les observateurs et les critiques sont extatiques : après Bryan Singer (qui n'a pas encore ruiné sa carrière à coups de films indigents) ou Guillermo Del Toro sur Blade II ou Hellboy, la présence de Nolan sur un tel film semble montrer que les studios sont prêts à prendre des risques pour mettre en place des films, certes tirés de comics, mais nourris de de l'intelligence et la maturité d'auteurs qui ont faits leurs preuves. Mieux : ces auteurs peuvent jouir d'une véritable liberté créatrice. En réalité, personne ne voit arriver la débâcle artistique des années 2010.

Batman Begins : Retour aux Sources
"Je ne sais pas à quel point c'était conscient - ou si ça entrait dans les considérations de Chris (Nolan) et David (Goyer) lorsqu'ils parlaient de ces films. Lorsque j'étais au lycée, j'avais un cours de latin durant lequel nous avions à lire les grands textes épiques Grecs : l'Illiade et l'Odyssée. Ce qui me fascinait dans l'Illiade était qu'il s'agissait d'une étude de ce que cela signifie qu'être un homme : comment prendre des décisions, comment réconcilier l'irréconciliable, que faire d'émotions comme la colère et la revanche. Et je pense que, à un certain point, un peu de ça s'est retrouvé dans le personnage de Bruce Wayne tandis qu'il lutte avec ces éléments : il y a un code avec lequel jouer, extrêmement difficile (4)."
L'idée de départ du tandem Nolan/Goyer est que tout ce qui fait le personnage de Batman doit être expliqué, d'une manière ou d'une autre. Et cela passe, d'abord, par la création d'un Bruce Wayne solide. Dans les précédents opus, Wayne servait de couverture au héros, au point de disparaître, par moments, presque entièrement. On le savait richissime, orphelin, seul, mais c'était à peu près tout. Chez Burton, il était un personnage romantique (au sens littéraire du terme). Chez Schumacher, il devenait plus lunatique. Mais, dans les deux cas, il cherchait à se créer une vie, à tomber amoureux, etc. Begins ne serait pas ainsi. Sans doute est-ce lié à la génération à laquelle appartiennent les deux auteurs ; ils décident rapidement de mettre en place pour le personnage de Wayne une thématique proche des archétypes grecs, tels que représentés par Campbell (5), en les compliquant légèrement. Premier passage obligé : la mort des parents. On a déjà vu cette scène, notamment dans le premier Batman (1989), mais il est important, pour la trame du personnage principal, de revenir dessus. Exit donc le Joker : les scénaristes ramènent Joe Chill (tueur officiel des parents de wayne dans les comics), et en font un petit malfrat sans envergure, en lien avec la pègre. Un personnage, finalement, facile à comprendre, sachant déjà que la ville de Gotham subit une crise financière proche du crash boursier de 1929 (parallèle d'autant plus évident quand le modèle de Gotham pour Nolan est la ville de Chicago, à la fois icône de la crise financière et de la pègre Américaine). C'est un personnage dont on comprend facilement les motivations. Par les mots de Gordon (encore loin d'être commissaire), on apprend rapidement qu'il a été arrêté. Encore une fois, Nolan et Goyer évitent la facilité : ce n'est pas la mort des parents de Bruce qui cristalise chez lui la naissance de Batman. Ce n'est pas un besoin de revanche haineuse qui serait à la fois trop simpliste, et en total désaccord avec la suite du personnage. Ce Batman est en quête de justice, ce qui va faire naître l'un des arcs les plus passionnants de la saga. Rachel n'est pas avocate pour rien : c'est elle qui va représenter la Loi durant tout le processus de narration, et l'idéal auquel Wayne est censé se raccrocher. Elle est plus opposée à lui, dans la quête de leurs idéaux, que n'importe lequel de ses ennemis. Lorsque Chill est relaxé au moment du procès, c'est elle qui explique à Wayne les limites de la justicee, sa confrontation permanente à la mafia et à sa toute puissance. C'est cet évènement en particulier (pas réellement la mort de Chill, qui n'est qu'une victime parmi d'autres, mais l'injustice en elle-même) qui fera naître en Wayne le besoin de la justice. Sa confrontation ratée avec Carmine Falcone dans le restaurant ne faisant que lui donner le moyen d'apprendre à lutter. Il est d'ailleurs important de montrer ici un Bruce Wayne jeune : sa maturité n'est pas encore complète, et son éducation, loin de ce qui fait de Gotham une ville paumée, le rend extrêmement naïf.
Son évolution, dès lors, se fera sous l'égide d'un mentor, un père de substitution.

Je parlais plus tôt des archétypes mis en place par Campbell, et l'on peut comparer l'évolution du personnage à celui de Luke Skywalker, et d'autres dans le même genre (Neo dans Matrix, Superman dans Man of Steel...) : comme eux, la quête de Wayne passe par l'abandon de toutes ses valeurs "d'enfant", et tout ce qu'il connaît (la mort de la famille de Luke, l'abandon de ce qu'il prend pour le réel pour Neo...), et au mentor à la fois de le guider vers une nouvelle voie, mais aussi de l'entraîner - physiquement et intellectuellement. A une différence près : Luke, comme Neo deviennent des héros (en tout cas pour ce qui est du premier Matrix, les suites étant plus complexes) : ce n'est pas le cas de Wayne qui, entraîné du "côté obscur" ne peut être un héros. Autre différence : Luke et Neo se révèlent avec leur personnalité, quand celle de Wayne disparaît au profit de celle de Batman, jusqu'à ce que sa quête devienne la redécouverte de qui il est, et qu'il l'accepte.
De fait, Bruce Wayne meurt (ou disparait) effectivement au moment de son départ en Chine : il n'est plus qu'un voleur anonyme, en quête de réponses. S'il ne devient jamais, comme il le dit lui-même, l'un de ces voleurs pour de bon, cela ne l'empêche pas de comprendre des notions de bien et de mal qu'il n'avait jusque là pas saisies. Les différentes notions, les niveaux qui composent la justice lui apparaissent lorsqu'il les comprend. Ce qui, remis en perspective, rendra la volonté de Rha's Al Ghul de détruire Gotham plus terrifiante encore. Rha's Al Ghul est, d'une certaine manière, le Batman de Burton et d'une bonne partie des comics : sa quête se fonde sur la vengeance pure, sur un absolu qui n'a rien à voir avec la justice. Il devient néanmoins une figure paternelle pour un Bruce qui est en recherche permanent de repères. Dans le bon comme le mauvais, Ducard prend la place du mentor, celui qui va initier le futur Batman à la compréhension de ses limites, à sa vision de la place dans le monde, etc. D'ailleurs, c'est Ducard qui créée Batman, contrairement aux opus précédents où le héros amenait le méchant.
Ducard n'est d'ailleurs pas l'archétype même du méchant. Chez Burton, Batman s'opposait à des "monstres" sociaux, créatures hybrides, opposées mais complémentaires de son Batman. Chez Nolan, le méchant qu'est Rha's ne peut être aussi extrême dans sa configuration : il est un personnage assez doux, attachant, mais pathétique. Il est l'image qu'aurait pu devenir Wayne s'il n'avait pas eu Rachel ou Alfred.
La lutte entre Ducard/Rha's et Wayne, qui clôt la première partie du film est également à rapprocher de l'oeuvre de Campbell mais aussi, plus précisément, d'auteurs comme Sophocle, ou de la philosophie nihiliste de Nietszche : pour faire simple, le père (ou son image) doit mourir. Obi Wan Kenobi. Qui-Gon Jin. Wayne abandonne donc Ducard à son sort - comme son mentor, sachant son idéologie. Sa mort, ici, est métaphorique, mais permet à Bruce de revenir à la vie ou, en réalité, à Batman de naître : Il sauve son mentor des flammes, mais ne peut plus le considérer ainsi. Cependant, ce qu'il en a apprit, et la voie qu'il choisit à ce moment fait qu'il ne peut le laisser mourir physiquement. Néanmoins, la première partie de sa quête est terminée, et pour cause : c'est Wayne qui a disparu, et celui qui revient, même sans masque ni cape, est bien Batman. Un nouveau personnage, animé d'une nouvelle quête.
Une nouvelle génération implique un artifice auquel il est difficile d'échapper : le training montage, cette séquence qui, classiquement, nous montre avec force éllipses la mise au point d'un plan, l'entraînement du héros, la fabrication de son arsenal. Rocky, l'Agence Tous Risques, Ocean's Eleven... Ici Nolan s'y prête pour la fabrication des éléments du personnage. Si une bonne partie de ces éléments sont parsemés au gré de la narration (avec Lucius Fox, ce qui nous permet à la fois de découvrir l'intelligence du personnage, mais aussi de mettre en place sa propre trame narrative), les éléments créés par Wayne sont montrés d'affilée : la création des premiers batarangs (cela a quelque chose d'épique, même si on peut se demander combien d'heures Wayne y passe, vu le nombre de ces gadgets qu'il possède), le masque etc. Nolan et Goyer cherchent à rendre chacune de ces créations logiques : les éléments sont achetés sous des noms divers à différentes compagnies, en gros, etc. Une manière de rappeler que, quand vous êtes riche, vous avez les moyens de vous cacher, aussi. Même si Wayne laisse délibérément derrière lui le passif de sa famille et son nom, en utiliser le portefeuille lui semble moins désagréable.
Nous nous trouvons encore dans la première partie du métrage, bien que plus de sa moitié se soit écoulée, lorsque Wayne trouve Gordon. Encore une fois, on peut se rendre compte du jeu de miroirs mit en place par Nolan : si Bruce va chercher le policier, c'est en écho au manteau que celui-ci lui a posé sur les épaules au début du film. Une réaction enfantine, propre au personnage de Wayne : le même Gordon qui l'a rassuré petit doit être un allié. De la même manière que la phrase McGuffin prononcée par Thomas Wayne "pourquoi tombons-nous? Pour mieux nous relever" est la base de toute la mythologie du personnage à travers la trilogie, le challenge de Wayne étant de tomber chaque fois plus bas pour remonter plus haut, jusqu'à l'absolu. Les retrouvailles avec Rachel sont à peu près du même ordre : la jeune femme lutte toujours avec les mêmes armes contre les mêmes ennemis, quand il lui apparait plus frivole que jamais. Wayne n'étant plus lui-même, sa notion d'amusement se limite à celle d'un enfant, de même que ses réactions.
Alors que la trame du film s'est tranquillement mise en route (l'implication de Crane, les liens entre celui-ci et la mafia, la police corrompue, le fil rouge de la direction de Wayne Enterprise etc...), il faut attendre l'arrivée de Ducard/Rha's Al Ghul au Manoir Wayne pour réellement y ajouter la dernière pièce. Non pas que personne n'ait pu imaginer ce faux retournement. Mais la mise en place correlée de tous ces éléments (ainsi que le vol d'un appareil de Lucius Fox et de Wayne Enterprise peu avant) permet, pour la première fois, de faire la lumière sur ce qui se trame dans la ville. C'est également le moment où le drame psychologique qui semblait prendre le pas sur tout le film apparait comme étant, aussi, un film de détective, proche du film noir des années 50 dans sa mise en place (la manière dont tous les éléments sont liés entre eux, et apparaissent sous un nouveau jour au fur et à mesure du métrage, jusqu'à la fleur bleue hallucinogène). Exercice périlleux (et difficile à mettre en place, scénaristiquement), tous les éléments du film deviennent autant de McGuffin que Nolan ressort au moment propice. On peut renvoyer un tel exercice à Usual Suspects (Bryan Singer, 1995), par exemple.
Sans que l'on s'en rende compte, le film est déjà passé au stage du film d'action, avec la longue course-poursuite sur les toits de Gotham entre la police et la Batmobile. Un autre élément qui servira de McGuffin dans le troisième épisode (on y reviendra, donc).
L'explosion du quartier des Narrows, l'évasion massive de l'asile d'Arkham sont autant d'éléments permettant à la fois de déclencher l'action finale, tout en en faisant intégralement partie. Il s'agit là du point de rupture du scénario, qui implique l'apparition réelle de Batman.
Néanmoins, pour revenir au schéma Campbellien de la saga, il ne s'agit pas encore du Batman héroïque (ce que beaucoup de fans déplorèrent à la sortie du film) : le héros doit abandonner quelque chose de lui-même pour avancer. Il doit se forger à partir de cet évènement. Ce n'est pas le cas ici. Tout au plus, l'incendie du Manoir Wayne est-il une étape, puisqu'il ne concerne réellement que Bruce, et non Batman. Hors, Bruce étant devenu totalement Batman, il s'en fout un peu (d'ailleurs, l'une de ses motivations pour reconstruire le bâtiment à la fin est bel et bien la préservation de la Bat-Cave). Accepter l'humilitation qui va avec l'incendie (il est suspecté, ivre, de l'avoir provoqué) facilite d'ailleurs largement sa vie.
Même sauver Rachel ne constitue pas un acte héroïque, puisqu'il s'en trouve largement intéressé sentimentalement. Quand au sauvetage de Geoffrey de Game of Throne...

Christopher Nolan aime les histoires intimes, quelque soit leur ampleur, et se concentre avec facilité sur quelques personnages seulement. Ici, alors que toute la ville est en danger immédiat, le réalisateur se focalise sur ses personnages principaux : Gordon, Rha's Al Ghul, Batman. Les seconds rôles (le commissaire, les policiers, les employés dans la Tour Wayne) servant essentiellement à rendre la narration plus claire (en l'extériorisant, notamment). Nolan réduit le champ de ses personnages jusqu'à deux (Batman, Ducard).
Comme déjà dit plus haut, chacune des décisions prises par le personnage a un sens dans la narration, et une explication. Y compris le choix de ne pas tuer. Certes, Batman n'est pas censé tuer (quoiqu'il l'ait quand même fait un certain nombre de fois dans les comics). Ainsi, c'est l'opposition de Batman à Rha's qui fait qu'il décide de ne pas le tuer directement. Encore un effet de miroir avec le début du film : Batman abandonne Ducard. Mais cette fois, une partie du chemin a été faite par le héros, qui peut se "délester" de son mentor, et le laisser mourir. Il ne le tue pas, mais ne le sauve pas non plus : le fait de ne pas tuer est une opposition à Ducard même (qui ne se prive pas de buter tranquillement du monde), quand le boss de la Ligue des Ombres tente clairement d'en finir avec Wayne. Bon, on sait bien sûr qu'il ne peut survivre : il connait l'identité de Batman, donc c'est assez évident.
Lorsque le film s'achève, Batman a gagné en maturité. Rachel a compris qui il était et, surtout, qui il n'était plus. Effectivement, Bruce Wayne n'est jamais revenu du Népal. Et Batman ne peut aller avec son idéologie de la justice. Un point d'ailleurs essentiel durant toute la saga : Batman n'est ni gentil, ni bon. Il n'est pas la justice, mais la "dernière solution". Mais Wayne n'en a pas encore conscience et, à ce stade, il ne peut se rendre compte du contrôle qu'il ne possède pas.
C'est donc un final en demi teinte que Nolan nous offre : certes (c'était attendu), Batman a gagné. Mais au prix de l'existence de Wayne. Et Wayne y a perdu la femme qu'il aimait, qui lui pose un ultimatum que, malheureusement, comme le lui apprend Gordon, il n'est pas prêt de pouvoir tenir.
The Dark Knight : Entre indépendance et grand spectacle

Difficile de dire du mal du The Dark Knight, tant le film, presque dix ans après sa sortie, tient encore une place à part non seulement chez les fans du justicier, mais dans une cinématographie super-héroïque qui a du mal à trouver un second souffle. Le ton résolument sombre du film, sa Némésis quasiment parfaite, sa densité et le décès brutal de Heath Ledger ont donné au film un statut d'icône, rappelant, presque quinze ans plus tard, le destin de The Crow (Alex Proyas, 1994).
Pour autant, si le film est en tous points admirable, il reste, thématiquement, le maillon faible de la trilogie (quoi qu'on soit tout de même à un niveau plus qu'admirable).
Avant de me faire taper, je m'explique. Hop! Analyse!
La grande force de TDK (oui, on va simplifier, hein), mais également sa faiblesse, est sa simplicité thématique (au regard des deux autres opus). On l'a vu avec Batman Begins, Nolan utilise largement le travail de Joseph Campbell pour personnifier son personnage, et le transformer de gentil cosplayeur un peu barré à héros gothique (au sens littéral et littéraire du terme, c'est à dire tragique et en quête de lumière) :
DESTRUCTION/DECOUVERTE - PREMIERE ELEVATION - CHUTE - ELEVATION FINALE
Begins nous a donc présenté les deux premières phases. En tout état de cause, TDK peut-être vu comme la mise en place des deux dernières, puisque Nolan parviendra à les lier (la déchéance morale et publique du personnage ne se faisant qu'au moment où il devient VRAIMENT un héros).
Mais parlons un peu du style du film. Libéré de toutes les entraves du studio, épaulé par son épouse, Emma Thomas qui gère la quasi totalité du financement du film (diminuant ainsi les parts de Warner et de Legendary Pictures) grâce aux succès estimables de Begins et du Prestige (2006), Nolan laisse libre court à l'écriture et à sa réalisation. Thématiquement, cet opus est plus simple à écrire que le précédent : la voie est tracée, il suffit de la suivre. Néanmoins, la question se pose de savoir jusqu'où aller? Se basant ainsi sur les première ébauches de David Goyer, Nolan et son frère Jonathan (Westworld) élaborent le Joker qu'ils veulent. On le sait, pour qu'un film soit réussi, il faut que le méchant le soit. Les Nolan reviennent donc aux sources du personnage (un maniaque anarchiste) et, laissant de côté sa création, mettent en place son ascension et son accession au pouvoir. Dans la thématique du personnage de Batman, il s'agit bien d'une lutte de pouvoirs, à savoir celui qui ira le plus loin. Ainsi, si Batman représente le contrôle et l'ordre apparent (le personnage n'est que ça, puisqu'il est entièrement basé sur la peur et le ressenti contrôlés), le Joker est un anarchiste n'agissant sous le coup d'aucune loi, pas même interne. Sans doute l'un des meilleurs sociopathes du cinéma, en passant. Là où le Chevalier Noir retient chacune de ses émotions, le Joker n'en exprime aucune. La troisième voie, celle de l'émotion brute, étant incarnée par Harvey Dent. Les personnages doivent aller le plus loin possible dans l'inacceptable. Tuer, mais pas seulement. Chacun des trois personnages est finalement responsable, à plus ou moins grande échelle, de la mort de Rachel. Et chacun des trois personnages se rend coupable de débordements terrifiants (les multiples morts pour le Joker, bien sûr, mais également la vengeance aveugle pour Dent, et la négation des droits de ses concitoyens pour Batman). Les Nolan atteignent un niveau de destruction émotionnelle fabuleux dans cet opus. Leur question est de savoir si Batman attire le mal et la folie par sa seule existence. Et la réponse est oui. Non pas simplement pour la forme, mais parce que Batman ne peut exister qu'ainsi. Je l'ai dis plus haut, Bruce Wayne a disparu. Ce qu'il était est déjà mort. Seul Batman peut survivre, mais doit pour cela se prouver à lui-même son existence (sa valeur), et sa légitimité. Le Joker, personnage sans identité et sans émotion, n'est ainsi pas uniquement la Némésis du personnage, mais également son fantasme. Le Joker incarne tout ce que Batman voudrait être. Il a également déjà perdu Rachel, et la jalousie qu'il éprouve envers Dent est encore l'un de ces éléments. Paradoxalement, c'est la perte de Rachel qui lui ramènera Wayne, soupçon de lumière dans le personnage, et lui permettra de trouver une échappatoire.
Ainsi posé, le scénario des frères Nolan est grosso modo prêt, et tant mieux : la Warner a déjà annoncé une date de sortie pour le film.
Chris Nolan ne s'embarrasse pas. Alors que la moitié du cinéma cherche à se tourner (pour le meilleur et pour le pire) vers la 3D et le tournage numérique (une bonne partie du parc des exploitants est déjà passé à la diffusion numérique), il s'en détourne. Comme Spielberg, comme Scorcese, Nolan aime la pellicule. Via sa société de production (Syncopy Films) il passe un deal avec la société Imax, et obtient de pouvoir tourner avec cinq caméras dans ce format. Bien sûr, le coût des caméras, de la pellicule et de son traitement sont tels qu'il ne pourra tourner que quelques scènes ainsi, les plus grosses, mais il veut le faire. Il forme l'équipe de steadycam ainsi que son directeur photo, Wally Pfister (et lui-même) aux caméras (qui pèsent une bonne cinquantaine de kilos), et profite de la pré-production pour en apprendre l'utilisation. Dans le même temps, il débauche William Fichtner pour le faire apparaître dans la scène d'ouverture, et prépare cette même scène avec précision, sachant qu'elle doit être un hommage à la séquence de la banque de Heat (Michael Mann, 1995). Le reste de la préproduction consiste à tester les plus grosses cascades du film, faire fonctionner la nouvelle Batmobile (équipée d'un moteur plus puissant), le BatPod (la moto) etc.
Le tournage s'engage donc, sans souci, et les premières images font rapidement saliver la Warner, qui double quasiment le budget marketing du film. Alors que les élections Présidentielles américaines approchent, le public découvre, via une campagne virale, le visage de Harvey Dent (Aaron Eckhart, magistral avant qu'il n'aille se fourvoyer contre des aliens). A côté, le Joker (Heath Ledger, impeccable avant qu'il n'aille se fourvoyer dans un cercueil) (6) et, bien sûr, de Batman (Christian Bale... non, rien).
L'attente, autant des fans que du studio monte, et la campagne (exceptionnellement) de la Warner est parfaitement menée.
Jusqu'à la mort de Ledger (7), huit jours avant la fin du tournage, qui marque un coup d'arrêt à la production.
Nolan arrête le tournage, bloque le montage, et se réunit avec la Warner, les producteurs de Legendary, son épouse (et co-productrice, je le rappelle, elle n'était pas là par hasard), ainsi que Hans Zimmer et James Newton Howard. La question désormais étant "que fait-on du film"?
Comme l'expliquera plus tard Zimmer (8), Nolan s'est longtemps demandé s'il devait "assouplir" le métrage, le rendre moins sombre et moins dur. Zimmer lui-même se demande s'il ne doit pas rendre hommage à l'acteur dans sa musique. La Warner tente une percée publique, prend la température. Les rumeurs courent déjà sur la dépression causée par le rôle, tellement extrême qu'il aurait plongé l'acteur dans une spirale de tourments. D'une manière ou d'une autre, le public s'attend à voir un film extrême. L'autorisation est donc donnée à Nolan, s'il le veut, de conserver le métrage tel que prévu. Nolan est d'accord. Il demande à Zimmer et Howard de ne rien changer. De composer pour le personnage, non pour l'acteur. Le talent (réel) de Ledger sera montré au public tel quel. Nolan raccourcit simplement légèrement la fin, fait disparaître le Joker de l'écran (il devait réapparaître dans le troisième opus). Le personnage se volatilise donc de l'histoire. Pour toute explication, Nolan expliquera qu'il est sans doute en prison. Ou à Arkham. Ou ailleurs.
Passons sur le succès du film.
Contrairement à Begins, où chacune des actions de Wayne/Batman est motivée par le devenir du personnage, les deux premiers tiers du film ne se font qu'en réaction au personnage du Joker. Chacun des personnages n'agit qu'à retardement, permettant d'augmenter l'impression d'imprévisibilité du méchant. Ce qui ne le rend que meilleur. Comme je l'ai déjà souligné, il faudra à Batman aller plus loin - trop loin - pour le vaincre. L'utilisation du scanner conçu par Fox, et le fait d'espionner toute la ville sont son point de non retour. Même s'il permet à Fox de détruire le système, Batman utilise ce procédé. Il est, à ce moment, lui aussi une menace - d'autant plus grande que la perte de Rachel provoque des émotions qu'il peine à maîtriser. A ce moment, moralement, Batman n'est plus un héros. Il est en quête de vengeance. C'est sa chute. Emotionnelle, morale. Le moment où il cesse d'être un justicier. Mais c'est également le moment où il peut vaincre le Joker.
A ce moment, le Joker, s'il est l'ennemi de Batman, est déjà dans sa chute : c'est Wayne qui a un coup d'avance sur lui, et qui permet de mettre à bas ses pièges. Au moment où le "gentil" redevient plus humain, il acquière des capacités d'empathie qui lui permettent, moralement, de se projeter au-dessus du "vilain" (Luke Skywalker détruisant l'image de Vador lorsqu'il découvre l'amour qu'il éprouve pour son père). On est là au-delà de l'anarchie, sur un nouveau terrain que l'on pourrait qualifier de "mythologique" ; il s'agit non pas de la lutte entre le bien et le mal, mais plus certainement de celle entre Zeus et Hadès, les frères ennemis, tellement proches que seul le plus vertueux peut l'emporter (et si vous connaissez la mythologie Grecque, vous savez qu'il en faut pour être vertueux). Le combat des deux personnages est celui de titans, pour lesquels les humains ne sont que des jouets (ce qui est assez visible dans le film).
Une fois le Joker vaincu, reste Dent. Double Face n'est plus que colère et vengeance - c'est à dire le reflet de ce qu'est devenu Batman (vous voyez l'importance de passer d'un méchant à l'autre dans ce métrage?). Si Batman a pu ouvrir la porte à un peu d'humanité et d'émotion face au Joker, c'est face à Dent qu'il peut redevenir pleinement humain. Et ainsi devenir un Héros (je mets une majuscule, cette notion est tellement galvaudée, une honte ma bonne dame).
Cette fois, Batman se retrouve lié à Dent de plusieurs manières : la colère, d'une part, mais aussi la tristesse, et la solitude. Lui aussi a, une nouvelle fois, tout perdu (je le redis, la mort de Rachel étant considérée comme un échec de sa part, elle signe le début de la déchéance du héros). Mais il ne s'agit plus de combat. Lorsque Double Face menace la femme et le fils de Gordon, ce n'est pas l'oeuvre d'un fou, mais d'un désespéré. Le personnage est presque suicidaire. D'une certaine manière, la morte délivrerait autant les deux, Batman/Wayne et Dent. Mais la force de Batman réside dans le fait que, justement, il n'est pas que Wayne. Et Batman doit agir - non pas pour le bien - pour le mieux. Faire ce qui doit être fait, peu importent les conséquences. De ce fait, Dent ne peut que mourir.
Les derniers mots de Gordon simplifient un peu mon boulot ; ils résument tout. Oui, c'est à ce moment, quand Batman prend sur lui les crimes de Dent pour ne pas que la ville perde espoir, qu'il devient réellement un héros. La mythologie explose à ce moment. L'abnégation totale du personnage rend la fin du métrage lumineuse, et devient l'aboutissement de sa propre mythologie.
En attendant le troisième opus.
Parce que, oui, c'est incomplet, et pour cause.
Si le second opus est assez linéaire, Nolan a déjà en tête le troisième. Prolonger le système mythologique mit en place (ou déterminé) par Joseph Campbell n'est pas une mince affaire. En soit, le second film aurait pu être divisé en deux. Ca a plutôt bien marché pour la Trilogie Classique de Star Wars. Mais alors, Batman serait resté l'ennemi public. Et quid de Wayne? C'est son histoire, à la base, non pas celle du Caped Crusader.
Voici donc :
The Dark Knight Rises : Concerto Inachevé
(ou : j'aurais vraiment dû faire un post par film).

Mai 2011, Christopher Nolan, Emma Thomas et Jonathan Nolan sont autour d'un thé.
ET : Eh! J'ai eu la Warner! Ils veulent le troisième film!
CN : D'accord, ils m'ont laissé faire Inception. Mais je veux qu'ils distribuent le suivant.
JN : Et sinon?
CN : Ils n'auront qu'à filer le film à Joss Whedon.
ET : Hahaha! Il ne serait même pas foutu de finir correctement un film déjà tourné! (9)
JN : Bon, on raconte quoi? On ne peut plus faire le procès du Joker.
CN : Ben non, du coup... Et si on faisait passer Batman du statut de héros à celui de mythe?
JN : Un mythe?
CN : Ben oui. Une figure de style amplifiée pour inspirer les monde. Comme l'Atlantide ou Jésus.
ET : Arrête, tu vas encore nous mettre un lecteur en colèrs. Déjà avec Whedon...
JN : On s'en fout, on le fait. Allons myther Batman!
Je ne suis pas certain que la conversation se soit réellement déroulée comme ça (dans ma tête, en tout cas, c'était fun). Néanmoins, c'est très certainement ce qui en est ressorti.
Petite explication :
Dans la trilogie définie à la base par Nolan et Goyer, le Joker doit être jugé et condamné - par un Harvey Dent bien vivant, et revenu à de meilleures intentions.
J'ignore quel aurait été le rôle de Batman dans tout ça, si ce n'est qu'il se serait effectivement retrouvé confronté à Bane.
Bane, justement, se retrouve être le dernier maillon de la chaîne liant Batman à Wayne. Comme dit plus haut, l'idée est de faire passer Batman du status de héros à celui de mythe. Mais pas seulement. Pour que la boucle soit bouclée, il faut aussi ramener Wayne. Et, donc, montrer qu'il a mûri, qu'il est capable de prendre le pas sur son alter-ego. Et de le vaincre. La plus grande Némésis de Wayne, c'est Batman.
Pas étonnant, donc que les liens entre le chevalier noir et Bane soient aussi fort : les deux ont été formés par Rha's Al Ghul. Les deux portent sur le visage l'image de leur souffrance (le masque lui injectant des antidouleurs pour le méchant, le masque représentant la peur et la perte de ses parents pour le gentil). Enfin, les deux sont extrêmement puissants. Et, comme pour Rha's Al Ghul, si leurs aspirations sont proches, les moyens sont différents.
Vous vous souvenez du cheminement du héros :
DESTRUCTION/DECOUVERTE - PREMIERE ELEVATION - CHUTE - ELEVATION FINALE
Les Nolan décident de le compléter. Ainsi, pour devenir un mythe, le héros doit chuter à nouveau, pour mieux remonter, plus fort.
Au début du film, cela fait huit ans que Batman a disparu. S'est-il barré avec une chauve-souris anthropophile? S'est-il exilé pour éviter le scandale des Panama Papers? A-t-il déserté le pays en se rendant compte qu'il ne pouvait rien faire contre Trump, trop méchant? Nul ne le sait.
Dans le même temps, Bruce Wayne vit reclut chez lui. Il n'a plus un rond, n'a plus la santé. Bref, le fringuant ex-milliardaire n'est plus que l'ombre de chez lui. Et si vous pensez que c'est un peu gros que personne ne fasse le lien, songez que dans aucun univers parallèle on pourrait imaginer que l'actuel occupant de la Maison Blanche puisse réellement être l'un des hommes les plus puissants de la planète. Ainsi, Batman a chu. D'ennemi public numéro 1 il est devenu en quelques années une rumeur. Et la ville ne s'en est jamais si bien sentie : la pègre a quasiment disparu (grâce aux actions menées par Harvey Dent du temps où sont meilleur profil était encore regardable), la ville espère et rêve enfin à de meilleurs lendemains. Wayne le disait dans le film précédent : le chevalier blanc que tout le monde espérait, c'était l'autre. Batman n'existant plus, Wayne n'existe pas non plus. Pas réellement. Il a été phagocyté par son alter-ego au point de ne plus avoir d'existence concrète. Ainsi, il rumine sa douleur (tant physique que morale). Ca ne vous rappelle rien? A une autre échelle, le jeune Bruce de Batman Begins. Sans s'en rendre compte, le personnage est déjà au creux de sa chute. Ce qui passerait inaperçu sans Bane.
D'ailleurs, (re)devenir un héros s'apprend. Et le retour de Batman le montre : il n'est plus cela. Certes, à coups de gadgets (dont un exosquelette intégré à son armure lui permettant de regagner en force et en vivacité), il défonce les sbires qu'il affronte. Mais une bonne partie de son action consiste à "jouer" avec la police. Encore, comme dans begins. Il frime, en somme (ce que même Alfred lui reproche). Et, en tout état de cause, il n'est plus Batman. Et cette illumination lui vient au détour de son premier affrontement direct avec Bane. Le combat (éprouvant pour qui l'a vu au cinéma) se soldant par la démonstration que Batman n'est plus la chauve-souris qu'il était, à coups de vertèbres brisées. La chute est déjà présente, je l'ai dis, mais elle devient évidente dans l'emprisonnement de Wayne dans la prison qui a vu grandir son ennemi. C'est là que le personnage doit réapprendre à vivre. Non pas sous la forme de Batman, mais bien sous l'apparence et l'identité de Bruce Wayne. Il est à nu, d'autant plus que la moitié des personnages du film connaissent son identité réelle (ce qui est important : il ne peut même plus se cacher face à eux). Tandis que le plan de Bane se met en place dans Gotham (rayer la ville de la carte, en bon mégalo), on suit le cheminement de Wayne. D'abord abattu, endeuillé, ses premières tentatives pour sortir de sa prison sont celles d'un héros qui tente encore d'agir "parce qu'il le faut", et non "parce qu'il le doit". Ce n'est qu'en acceptant sa détresse (en faisant son deuil, en acceptant qui il est etc.) qu'il ne peut sortir. Ce que, bien entendu, il parvient à faire (sinon, aucun intérêt). C'est donc un personnage en pleine rédemption qui s'évade. Et c'est là qu'aparait, pour la dernière fois, Batman. C'est dans un acte quasiment divin (lumière néclaire incluse) qu'il sauvera la vie, donnant volontairement sa vie sous le regard d'enfants (ce qui n'est pas anodin : la résilience de Wayne remonte à sa propre enfance, et c'est cette symbolique qu'il sauve). Wayne a tué Batman, une bonne fois pour toute, dans un acte d'acceptation et d'empathie qui va au-delà de toute ce que le personnage a effectué jusque là.
Et de naître la légende.
Comme ses différents ennemis au fil des films, il s'annonce. Montre sa présence, sa puissance. Il effraye. Mais à ce moment, Batman n'est plus que l'image de Wayne. Une image pour ses ennemis. Auprès des autres (y compris Gordon), il est Wayne. Il s'accepte enfin, tel Percée acceptant, pour vaincre Hadès, sa part d'humanité, comprenant qu'il ne peut le vaincre avec ses pouvoirs de simple titan. Il se fait aider, brise les codes imposés par Batman.
D'ailleurs, le combat final se fait de jour, pour mieux marquer la différence : ce n'est ici plus Batman qui lutte, mais bien Wayne, qui a déjà tué son alter-ego. La symbolique, encore.
Encore une fois, le personnage de Bane est à son apogée. Mais il est duel, la main conduite par Thalia (Marion Cotillard qui... oui, enfin voilà quoi). Une autre légende, racontée par les différents personnages de la prison, et dont le dessein ne peut qu'être voué à l'échec : Batman/Wayne est devenu un personnage résilient, lumineux, quand elle se complaît dans une idée de vengeance (prenant le pas sur le Batman du film précédent). Bane lui-même n'est au final qu'un engrenage, un outil dans la main de Thalia (non, ce n'est pas sale). Il est l'armure de la jeune femme, comme Batman a son armure.
Le reste des personnages suit Wayne, et deviennent à leur tour les héros qu'ils doivent être (surtout considérant la disparition du héros à la fin). Gordon (déchu de son poste de commissaire, puis blessé, et qui revient), Catwoman (10) (passée de voleuse égoïste à gardienne de la cité)... Même Alfred, dans sa dernière scène, aura sa rédemption, sa libération, en voyant un Bruce calme, en paix, accompagné d'une Selina Kyle (portant, symbolique oblige, le collier de perles de la mère de Bruce, marquant également l'évolution du personnage).
La boucle est donc bouclée.
Ou presque : il faudra toujours un Batman. Un héros. Rôle qu'endosse John Blake (Robin de son véritable prénom, pour le clin d'oeil) dans la dernière scène du film. D'où la légende : Wayne/Batman est parvenu à inspirer une nouvelle génération, à s'ancrer suffisamment profondément dans la conscience populaire pour devenir une nécessité. Tout le monde est Batman (ce que le personnage refusait au début du second film).
Au fil du métrage, tout concourt à libérer Wayne de ses liens : une partie de ses gadgets est détruite, son secret est éventé, il est dépossédé de tous ses biens. Autant d'éléments qui peuvent permettre au personnage de se réinventer, de se sortir du passé dans lequel il s'est enfermé depuis l'enfance. Même le départ de Alfred y concours. En décevant une dernière fois son père de substitution, il ne reste plus à Wayne qu'à s'amender, à devenir l'homme de bien que son père (le vrai) et Alfred voulaient le voir devenir (le retour de la voix de Thomas Wayne n'est d'ailleurs pas anodin, et la question "pourquoi tombons-nous?" reste la base de la trilogie).
Comprenons-nous : ce ne sont pas uniquement les actes de Wayne/Batman qui font de lui une légende, mais bien la distanciation des deux. Batman occultant Wayne, il ne peut y avoir qu'une aura d'obscurité autour du personnage. Mais les deux séparés, alors peu importe qui est Batman. Il est, simplement, sans avoir à détruire son alter-ego.
Sur le plan technique, Nolan joue encore avec les caméras Imax qui lui ont bien plus sur TDK et Inception. D'autant que leur utilisation est ici démultipliée, et adjointe à chaque apparition du Chevalier Noir à l'écran. De même, Nolan continue à utiliser les practical effects (effets de plateau), là où d'autres lorgneraient largement vers de l'incrustation ou des images de synthèse (la plupart des plans de vol de la Bat, l'impressionnante séquence d'ouverture à bord de l'avion, etc.) Lorsqu'il le peut, Nolan tourne en direct.
Il commence également, comme ce fut le cas pour ses deux précédents films, que le métrage soit diffusé sur pellicule 35mm. Sauf que ça coince. La quasi totalité des parcs de diffuseurs américains et européens sont passés au numérique, et les salles refusent de le diffuser autrement, à moins que la durée du film soit passée à moins de 2h20 (il fait 2h45, ce qui ampute les multiplexes d'une séance par jour). Ayant déjà pas mal coupé (la durée initiale est estimé à plus de 3h), Nolan refuse en bloc. Il faudra toute la persuasion de la Warner - ainsi que l'assurance de distribuer les films suivants du réalisateur - pour qu'il accepte. La Warner, voyant le succès des films Marvel, propose également de transposer le film en 3D (ce qui, avec le surcoût de la diffusion, permettrait d'engranger plus d'argent pour le studio distributeur. On raconte que le producteur qui a proposé ça vit sous protection judiciaire depuis (11).
Evidemment, The Dark Knight Rises est un carton.
Néanmoins, le film déçoit en partie. Et pour cause. A bien le regarder, il est quasiment parfait. Complet. Chaque histoire a sa conclusion, l'arc lié à Batman/Bruce Wayne est refermé.
Mais il manque des morceaux (les fameuses coupes). Non pas dans l'histoire elle-même. Mais dans l'équilibre du film. L'enchaînement de certaines scènes semble montrer des absences. Quid de l'Epouvantail?
Sachant qu'il s'agissait de son dernier film sur le sujet (Warner ayant rapidement annoncé que Nolan ne reviendrait pas pour la suite, tant qu'il n'accepterait pas de lier le personnage à la Justice League), il est possible que le scénariste/réalisateur se soit retrouvé dans l'obligation de finaliser (en moins de temps que d'habitude) un script s'efforçant à la fois de raconter une histoire et de refermer une boucle. Et là, la question se pose toujours : que couper? Dans un métrage d'une telle densité, difficile de choisir, tant chaque séquence est, logiquement, liée à celle qui précède et celle qui suit, et quand le rythme complet du film repose sur cet agencement (ce qui donne également cette impression de réalisation froide de la part de Nolan : chaque élément d'écriture suit un cheminement logique permettant l'équilibre conscient de l'histoire - et non, ce n'est pas toujours le cas). Coupez une séquence, une petite scène, et le tout se retrouve bancal, car une autre n'aura pas son répondant, son contrepoids.
il s'agit également du film le plus lourd thématiquement de la saga : à lui-tout seul, il condense certaines des thématiques des deux premiers, tout en en étant la finalité, exercice complexe s'il en est.
Si le fond manquait (un peu) dans The Dark Knight, c'est ici la forme qui pêche, et en fait l'opus le plus faible globalement.
Conclusion
Il aura fallu trois films (bon, en fait, deux, mais on parle d'une trilogie là), sept ans pour que le grand public découvre Chris Nolan (déjà bien connu des cinéphiles depuis Memento et Insomnia. Surtout, la saga aura permis d'ouvrir le genre super-héroïque à un public plus vaste qu'auparavant, montrant que le genre pouvait également s'orienter vers un public adulte et compréhensif du langage cinématographique, à l'inverse de ce que Marvel montrait avec Avengers.
Reste que l'exercice est extrêmement complexe. D'une part, comme pour toute adaptation, chacun a son Batman en tête. Que ce soit celui de la série des années 60, celui de Tim Burton, celui des comics des années 80 ou celui de Frank Miller. Concevoir un personnage à la fois reconnaissable et inédit reste une gageure, et encore plus lorsqu'on lui adjoint une mythologie certes habituelle au cinéma et en littérature, mais qu'on ne retrouve que rarement dans les comics. Néanmoins, par sa réalisation extrêmement précise, son imagerie empreinte de symbolique et ses thématiques profondes, Nolan parvient à faire de sa saga de super-héros des oeuvres de cinéma complètes, et qui prennent leur place dans cet art sans se mettre de côté une seule seconde (ce qui ni Warner, ni Marvel ne parvient actuellement à faire, se logeant, au mieux, aux côtés de franchises comme Fast & Furious).
Reste à voir combien de temps il faudra pour réinventer le genre.
(1) Source : IMDB
(2) Source : Wikipedia
(3) Version Française sur Allodoublage
(4) Jonathan Nolan dans la préface du livre The Dark Knight Trilogy, 2012, Faber & Faber
(5) Joseph Campbell, L'Homme aux 1001 Visages, J'ai Lu
(6) Désolé pour celle-là, je n'ai pas pu m'en empêcher.
(7) Un cascadeur était déjà décédé durant la préproduction, en testant la Batmobile. Le film lui est d'ailleurs également dédié. Bien sûr, cet évènement n'a pas eu le même impact auprès du grand public.
(8) Notamment sur le texte accompagnant la BO du film.
(9) Oui, bon, ça va, je sais.
(10) Elle n'est jamais nommée ainsi de tout le film, en passant, pour ne pas empiéter sur le personnage d'origine, fort différent).
(11) Je rigole, mais il ne fallait pas être futé pour proposer ça.
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