Quand Hollywood part en vrille
- Kevin Enhart
- 27 nov. 2017
- 22 min de lecture
Il n'est pas besoin d'être particulièrement clairvoyant pour se rendre compte que les modèles de production des gros studios, actuellement, sont pour le moins confus.
Entre réécritures forcées, vidages des créatifs sous couvert de "différent artistique", trafics de chiffres et de critiques, autant dire que le cinéma actuel n'en sort pas grandi.
En tout cas, une partie du cinéma, la plus visible.

1- Introduction
2 - Les raisons de la colère
3 - Casino
4 - C'était mieux avant
5 - Conclusion
1- Introduction
Il n'aura fallu qu'une dizaine d'années pour que le système de production imposé par Disney sur ses Marvel (puis sur Star Wars) ne soit reprit par d'autres studios avides du succès financier de la firme aux longues oreilles (succès, comme on le verra plus tard, mitigé en réalité). La 20th Century Fox, puis Universal et enfin Warner prirent le train en marche.
Le méthode (production calibrée, écriture et réalisation entre les mains du studio etc) s'est déjà vue par le passé, mais jamais à une telle échelle. Néanmoins, le système tend à rapidement montrer ses limites, et il semble qu'une nouvelle frontière ait été franchie. La cupidité des studios commence à se retourner vers eux et, même s'il semble évident qu'ils n'en souffriront que modérément (1)(2), le fait est que le système qu'ils ont mit en place ne peut être pérennisé sur une longue durée - à contrario du cinéma indépendant (majoritaire) ou du système de co-production/distribution. De plus, le grand public - et non plus seulement la profession - commence également à se rendre compte de la "supercherie", au risque, dans les prochaines années, de voir la fréquentation des salles baisser à nouveau.

2 - Les raisons de la colère
Outre ce titre débile, il faut se rendre compte que la colère est des deux côtés de la profession. Du côté, évidemment, plus visible, des spectateurs, mais également, et c'est plus grave, de la profession.
On le sait, la majorité des spectateurs ne vont au cinéma que deux, trois fois par an. Traditionnellement, il s'agit d'une sortie en famille (l'animé Disney de Noël). Viennent ensuite les gros films du moment. Jusqu'au milieu des années 2000, ceux-ci étaient limités : ils sortaient essentiellement durant l'été, généraient un profit enviable à la fois pour le studio et pour les diffuseurs. Il s'agissait du film-rendement sur lequel tout le monde pouvait se baser. Il ne s'agissait pas pour autant d'un critère de qualité. Uniquement de succès. L'arrivée, dans les années 80, d'actioners plus ou moins indépendants (les Emmerich, les productions Don Simpson/Jerry Bruckheimer...) rapportaient suffisamment d'argent pour être réinvesti dans des productions plus "intimes" - généralement celles qui étaient présentées aux Oscar et qui faisaient la valeur et la renommée des studios. On était bien loin de la demi-douzaine de films qui sortent aujourd'hui chaque année, avec chaque fois pour ambition de dépasser le précédent.
La conséquence de la multiplication de tels films, et de leur succès, a été un retour massif des spectateurs en salles. D'un seul coup, phénomène de mode oblige, tout le monde voulait voir des super-héros. Et tout le monde voulait en produire, chacun ayant sa recette. Le succès (inattendu, dans son importance) de la trilogie Dark Knight de Christopher Nolan (qui suivait les succès de Sam Raimi sur Spiderman, et ceux de Bryan Singer sur les X-Men) a montré aux majors que, oui, elles pouvaient amener du monde en salles, et donc gagner de l'argent, grâce à ces films.
Seulement, voilà. Pour une part du grand public, la situation est devenue, en l'espace de dix ans, chaotique. A un moment, on pouvait apprécier ou pas Green Lantern (Martin Campbell, 2011). Mais le film existait, il était porté et soutenu. Qu'il soit un échec public et critique ne jouait pas sur le devenir du studio, ni sur celui du genre. A présent, le public se retrouve prit au piège. Il doit aimer, ou adhérer au film, au genre, sous la menace constante de le voir disparaître. Payer 10, 12 ou 15 Euros pour aller voir le dernier Marvel en 3D ou sur un écran Imax (alors même qu'il n'est pas fait pour ce type d'écran et que la 3D n'est qu'une conversion très moyenne réalisée par un studio indien), ou pour Wonder Woman, fait que le public, pour la première fois, joue un rôle actif dans le phénomène de production. Et le studio de s'efforcer de lui donner ce qu'il attend. En réalité, ces studios n'ont même plus le contrôle créatif de ces productions - et par là même, il n'existe plus de contrôle artistique.
Les exemples récents ne manquent pas : la Fox en est à son troisième reboot de Spiderman (en partenariat avec Disney/Marvel, cette fois). Idem pour les Quatre Fantastiques. Batman V Superman s'est vu retouché et tronqué pour correspondre aux canons des diffuseurs (retirez une demi-heure au métrage, vous gagner une séance). Star Wars Episode IX en est à son troisième (quatrième) script, et a déjà changé de réalisateur. Idem pour le stand alone sur Han Solo. Wonder Woman et Suicide Squad ont chacun subi de nombreuses réécritures et modifications de production. Et que dire de Justice League?
La raison de ces modifications est une donnée qui n'est pourtant pas inédite dans l'histoire du cinéma, mais que les majors semblent avoir oublié : l'écoute du public. On le sait, pourtant : le public ne doit JAMAIS décider d'une oeuvre. Son pouvoir de décision se limite au succès de cette oeuvre. Et uniquement de son succès commercial, même pas artistique. Lorsque les fans de super-héros crient au scandale devant l'échec artistique qu'est Justice League, ils ne se rendent pas compte que le résultat vient, en partie, d'eux. Batman V Superman était trop sombre, pas assez comique et manquait d'action? Soit. Reprenons le contrôle sur le suivant, éclairons-le, ajoutons-y de l'humour. Faisons plaisir aux fans, ainsi ils viendront.
Si la masse de spectateurs se pressant devant les Fast & Furious, Star Wars ou Batman ne sont pas le plus gros de la masse des spectateurs, ils en sont la partie la plus visible, au regard de l'argent récolté par ces films. Et agissent en enfants gâtés.
- Je veux ça. Oui, mais non, pas comme ça.
En résulte un gâchis artistique massif, qui agit comme un repoussoir pour une partie des spectateurs. Et il y a fort à parier que les prochains films du genre verront leurs recettes commencer à chuter : pourquoi aller voir un film quand on a la sensation que l'on sera déçu? Quand rien de nouveau n'arrive, et que la partie la plus intéressante du métrage a été coupée pour laisser la place à une énième scène d'action? Les spectateurs s'ennuient au point où ils commencent à voir les effets spéciaux. C'est dire. En 1997, et alors qu'ils étaient quand même assez dégueulasses, peu de gens s'attardaient sur ceux de Titanic. Wonder Woman, qui a bien plu au public a également des effets visuels proches du Razzie Award. Et pourtant...
Le public a, à l'origine, une facilité de digestion assez incroyable pour les navets. Nous en sommes à huit Fast & Furious. Un stock effrayant de Marvel tous interchangeables. Cinq Die Hard... Mais il finit de lui-même par s'en détourner. Comme si manger des pâtes mal cuites à chaque repas les lassait. Certes, il ne peut y avoir que du Stephen Frears ou du Wes Anderson. Mais, à un moment, cet aspect écervelé du cinéma finit même par épuiser même la frange la plus écervelée de spectateurs.

Il s'agit d'un cercle vicieux. Le public veut les choses autrement. Le studio fait les choses autrement. Le public n'aime pas. Le studio n'aime pas.
L'autre élément (qui pourtant facilite l'observation, contrairement aux précédents des années 1940), ce sont les réseaux sociaux. Massivement utilisés par les studios (promo facile et pas trop chère), ils se retournent pourtant facilement contre eux. Et forcent la main des spectateurs. On doit aimer certains de ces films. On doit en détester d'autres. Les Marvel, par exemple, s'ils n'existent qu'à peine aux yeux d'une profession qui ne veut pas finir salariée à bas prix, ont un succès d'estime certain auprès du public. Ils sont fun, ne demandent aucune réflexion... Ils vendent du popcorn. Les Warner/DC, en revanche, restent en partie mal vus. Et de là, chaque élément sera disséqué pour trouver une meilleure raison de les détester (l'effacement de la moustache de Henry Cavill dans Justice League, une réplique un poil trop psychologue dans Batman V Superman...).
Si le public appliquait la même méthode à chaque film, le taux d'images de synthèse serait considérablement réduit, et leur temps de création augmenté.
Le fait est que le grand public est une masse. Une foule qu'il faut prendre comme telle. Et comme toute foule, elle réagit d'instinct, par émotion, globalement sans réflexion. D'où, aussi, la faible durée de vie de ces films sur grand écran.
On l'a donc vu, il s'agit ni plus ni moins que d'un phénomène de rejet de la faute sur l'autre. Les studios cherchent un rendement immédiat avec ces films. On est typiquement dans une idée de fast-food. Là où beaucoup de films sérieux sortiront plus anonymement mais auront une durée de vie plus longue, voire ressortiront à l'occasion de tel ou tel festival qui leur assurera la pérennité, les blockbusters sont faits pour une consommation immédiate. Ce qui ne veut pas dire qu'ils sont tous mauvais. Néanmoins, ils sortent dans un nombre tellement élevé qu'ils se perdent. La plupart sont mauvais. Mal réalisés, sans positionnement autre que financier. Prenons un Jurassic World. Difficile de regarder le film (déjà!) sans se dire que n'importe quel péquenaud aurait pu le tourner, avec le même résultat. Les Marvel se chevauchent de la même manière : aseptisés, ils sont bâtis sur une structure commune. Mais supprimez le caméo de Stan Lee, et vous verrez la colère monter chez les spectateurs. Chez Warner, l'idée actuelle est de supprimer toute notion de personnalisation des films du genre. Zack Snyder a son propre style, qu'il développe maintenant depuis plus de quinze ans. Néanmoins, puisque les fans du genre ne l'aiment pas, alors ce même style doit être atténué. Gommé. D'où la présence d'un Joss Whedon, qui a à peu près autant de style et de personnalité dans ses films que Ron Howard à ses début. Il en va de même pour les Star Wars. Les Fast & Furious. Les Saw.
Ces franchises tendent à se ressembler, tout en cherchant chacune leur marque. Mais au sein de chaque franchise, on cherche la recette parfaite. Il ne s'agit rien moins que de comparer Quick à Mc Donald's. On peut préférer l'un ou l'autre, certes. Mais il sera difficile de préférer tel restaurant de la marque à tel autre. Et le public agit ainsi, avec l'accord des studios. Tant qu'ils gagnent de l'argent.
Malheureusement, cet état de fait met en péril la notion même d'art dans le cinéma, et impose un mode de production de masse aussi malsain q'une batterie de poulets aux ailes et aux pattes coupées.

3 - Casino
On l'a vu, pour les studios, il s'agit essentiellement d'une affaire de gros sous. Ironiquement, le public le sait, puisqu'il juge de la qualité d'un film au regard de son succès au box-office. La situation actuelle est telle qu'il s'agit, au final, d'une bulle spéculative massive, tant la pression des investisseurs est devenue importante.
Prenons la situation de Captain America : Civil War :
Budget (officiel) : 250 millions de Dollars (3).
Budget promo (estimé) : 150 millions de Dollars.
Nous en sommes donc à 400 millions. En tout état de cause, si le film ne rapportait qu'un Dollar de plus, il sera bénéficiaire.
Mais (et c'est la raison pour laquelle j'ai pris cet exemple) :
Marvel appartient à Disney, société côtée en bourse, et dont la vitalité se mesure à sa croissance. Si on prend une marge de 20% (4).
Il nous faut donc rentrer 480 millions de Dollars pour que le rendement du film devienne positif. Comme ces 80 millions n'existent pas (ils sont le rendement, donc la part dévolue aux actionnaires), et que les 400 millions sont le retour sur investissement, mais qu'il faut quand même préparer le terrain financier pour le prochain film (disons, Thor : Ragnarok), alors il nous faut quand même un bénéfice de 200 millions supplémentaires (on ne touche pas au capital de base).
Nous en sommes à 680 millions de Dollars. En dessous, soit on met en colère les actionnaires, soit on attaque le capital (ce qui fait baisser le cours, donc le rendement, donc la marge aux actionnaires, ce qui les met en colère).
C'est à dire qu'il faut 10 fois le budget de Jurassic Park pour arriver à une situation positive.
Au final, le film rapporte 1 milliard 150 millions de Dollars (soit moins de 200 millions de Dollars pour Jurassic Park lors de sa sortie en 1993).
Certes, c'est un succès commercial. Limité, mais réel. Et tant mieux pour Disney/Marvel, après tout.
Mais ces chiffres sont largement gonflés, en réalité (encore une fois, toujours dans le cadre d'un système de spéculation boursière) ; les artifices sont nombreux, pour le coup.
La première chose, qui n'existait pas encore il y a quelques années : le marché Chinois. Captain America : Civil War totalise environ 180 millions de Dollars de recette dans le pays (5), pour 740 millions de Dollars de recettes hors USA.
Le marché Chinois est HYPER important. Et explique beaucoup de choses, dont la calibration des films pour ce public spécifique, voire leur amputation de certaines scènes sans sourciller.
L'émergence récente d'un système de classe moyenne dans le pays, ainsi que la complaisance de nombreuses nations face à une croissance nationale de plus de 8% a permit à ces mêmes nations de commencer à s'implanter dans le pays. Et Disney ne s'y est pas trompé. L'implantation de la firme dans le pays a pu se faire moyennant un échange dont la base est essentiellement financière : on accepte de diffuser tes films, à nos accords, mais tu nous construis un DisneyLand à ShangaÏ qui sera en majorité géré par le pays. Oui, en Chine, c'est l'Etat qui diffuse les films. Et prend sa commission au passage (oui, je sais, le CNC chez nous fonctionne presque comme ça).
Après, si ça rapporte plus de 150 millions par film, tout va bien. Sauf que cet état de fait reste imprévisible : il est lié aux conditions diplomatiques du pays.
Que Trump balance sur Twitter qu'il se torche avec le Petit Livre Rouge, et le marché se referme aussitôt.
Et les bénéfices faciles disparaissent. La Chine est un pays d'autant plus facile à exploiter qu'il ne coûte rien au studio. Comme je l'ai dit, la diffusion passe par l'Etat. Qui finance donc cette diffusion. Et la promo qui va avec (ce qui explique que l'on retrouve des images inédites dans les trailers du pays).
Une autre technique (c'est aussi pour ça que j'ai choisi ce film et ce studio pour mon exemple) : la 3D (il est cependant difficile de calculer le bénéfice totale du à la 3D pour un film, ces données n'étant pas diffusées).
Il faut être honnête : si la 3D peut-être un merveilleux outil narratif (voir Hugo Cabret de Scorcese, par exemple), les films type Marvel ne l'utilisent que pour gonfler les recettes. D'une part, ils sont transposés en 3D, et non tournés dans ce format. La transposition se fait à bas coût, en Inde (et revient moins cher que tourner le film dans ce format). Et elle n'est pas bonne (mais on ne parle pas de ça, je sais. Mais sérieux, c'est à chier - et la palme revient à Jurassic World).
Maintenant, comment ça marche :
Technique lambda.
- Diffusion en 2D dans un multiplexe : 9€ par spectateur (6). Une partie de ce tarif revient à l'exploitant. Une autre au CNC. La dernière au studio.
- Diffusion en 3D : 13€ par spectateur. On retrouve la même chose. Mais on y ajoute 4€ de lunettes, qui comprennent une part (infime) pour l'exploitant (le prix brut des lunettes), et une grosse part pour le studio.
Néanmoins, en France, les tarifs ne sont pas fixes. Certaines salles font payer plus ou moins cher les lunettes selon leur tarif global (elles coûtent moins cher à un multiplexe qui les achète à la tonne qu'à un petit exploitant), la technique (3D active ou passive), les aides du CNC, de la Région, du Département, de la Ville, etc. Pour exemple, le petit ciné à côté de chez moi est géré par la ville, et le tarif est fixe pour la 2D et la 3D, les surcoûts étant compensés par la commune et le Département.
Donc, le studio gagne, évidemment, plus d'argent grâce à la 3D. Oui, même si elle est pourrie et inutile.
Cependant, il est soumis à la législation de chaque pays, et le gain en dépendra (mais il reste conséquent).
Technique Disney.
Les tarifs sont les mêmes.
MAIS Disney impose un alignement surnuméraire aux diffusions 3D (en moyenne, 1€ de plus) à chaque exploitant. Dans l'idée, vous vous retrouvez à payer 14€ le Marvel ou Star Wars en 3D.
Disney est plus souple avec les multiplexes qu'avec les petits exploitants, cependant. Comme on l'a vu, la marge des multiplexes est déjà conséquente, quand la plupart des petits exploitants pratiquent des tarifs plus bas.
De fait, Disney force les petits exploitants à augmenter leurs tarifs pour le format 3D, sous peine de boycott.
Sauf que, en France, c'est le CNC qui gère la diffusion, et il ne peut y avoir de boycott. Pas dans ce sens là, en tout cas.
En revanche, comme ce sont les exploitants qui font les demandes de copies pour les projections, eux peuvent demander à ne pas diffuser de 3D pour les films de la firme.
Dans un certain nombre de cinéma, Thor Ragnarok n'a été diffusé qu'en 2D. Idem pour Coco, film Pixar. Et, à l'heure actuelle, beaucoup d'entre eux prévoient encore de ne diffuser Star Wars : les Derniers Jedi qu'en 2D.
Comme je l'ai dit, on ne peut calculer réellement le bénéfice financier d'une diffusion 3D. Néanmoins, on peut l'estimer (à la louche, oui).
Civil War a engrangé 1 153 304 495 sur la totalité de son exploitation.
Prenons un tarif médian de 8 Dollars par spectateur (j'extrapole un peu, mais on ne doit pas être loin), et considérons qu'un tiers de ces spectateurs ont vu le film en 3D (ce qui ne doit pas être loin, non plus, de la réalité. En tout cas en Occident). Et gardons 4 Dollars par place pour le studio. Ajoutons 2 Dollars pour chacun des spectateurs dans ce quart (donc, le bénéfice de la 3D) !
1 153 304 495 / 8 : 144 163 062 spectateurs (j'arrondis au plus proche).
Un tiers fait donc : 48 054 354 x 2 (7) : 96 108 708$
Presque cent millions de Dollars pour la seule 3D.
Oui, ça rapporte, et on comprend qu'une compagnie comme Disney cherche à faire fonctionner le système.
Si Trump se lâchait sur Twitter, coupant les relations diplomatiques entre les USA et la Chine, et si la 3D disparaissait, ce serait donc au bas mot 250 millions de Dollars qui s'évanouiraient.
Et le bénéfice net du film ne serait plus que d'un peu plus de deux cents millions de Dollars, contre près de cinq cents actuellement.
Nul doute que les actionnaires seraient un peu moins jouasses.

Un autre élément utilisé par Disney réside dans une certaine psychologie.
A l'heure actuelle, les prévisions du groupe se font ainsi :
Disney Animation Studio : film prévus (avec date de sortie) jusqu'en 2021.
Pixar : Idem
Marvel Studios (avec 20Th Century Fox pour une part) : 2022.
Lucasfilm Ltd : 2024-25 (en réalité plus, les films suivants étant déjà notés "en développement").
Quel peut-être l'intérêt de prévoir des films à une telle échéance, alors même que la plupart n'en sont qu'au stade du développement?
Comme je l'ai dis, la psychologie.
On l'a vu depuis un siècle, le fonctionnement boursier se fait sur la spéculation à court-moyen terme, et sans réelle mémoire.
Ce qui est vrai aujourd'hui le sera aussi demain, en somme. Donc, si un Marvel ou un Lucasfilm peut engranger plus d'un milliard de Dollars de recette brute grâce à la 3D et à la Chine aujourd'hui, il en sera de même demain, évidemment.
A ce titre, tous les futurs films du groupe sont déjà des succès.
Mais, comme dit plus haut, il suffit de peu pour que cette idée s'effondre. Rien que la lassitude du public. Un film mal accepté...
Ce que l'on appelle une bulle spéculative.
Ca rend le groupe financièrement fort, et (apparemment) solide, puisque les actionnaires peuvent compter sur tout cet argent qui n'est pas encore là.
Disney marche sur la corde raide : si le système se vautre, le groupe suivra. C'est déjà arrivé par le passé.
Maintenant, pourquoi ais-je parlé de tout ça, et quel rapport ça peut avoir avec le sujet?
C'est simple : on parle d'argent, non plus de cinéma.
Certes, l'argent a toujours fait partie intégrante de l'histoire du cinéma ; réaliser un film coûte de l'argent, que l'on espère retrouver à la sortie, avec un bonus permettant d'assurer le prochain film.
Ajoutez la valeur "public" à celle de l'argent, et vous comprenez pourquoi ce genre de cinéma est à la fois au top de sa forme et au fond du gouffre.
C'est comme un fast-food : certes, ce que vous faites est volontairement appétant pour le public, ça donne envie et faim. Mais au fond, vous êtes d'abord là pour engranger de l'argent pour le groupe.
Disney a la particularité, actuellement, de n'être basé que sur ce système (ce qui n'empêche pas la qualité, parfois). Warner, Fox et Sony suivent les traces - la différence étant qu'ils ne sont pas limités par le genre des films. Universal fonce également dans ce système, notamment dans l'animation (les Minions), et quelques franchises (Fast & Furious...).
Le système de surcharge aide également. Pas moins de six ou huit films de super-héros sont prévus pour 2018. Donc, une manne pour les studios d'au moins six milliards de Dollars.
Si tout va bien.
La grosse différence, à l'heure actuelle, c'est que, si le système se plante, TOUT Disney se plante, tandis que les autres studios reviendront simplement à un fonctionnement plus "doux".
4 - C'était mieux avant
Mais carrément! Avant on avait deux Gremlins, deux Ghostbuster, trois Indiana Jones, cinq Rocky, quatre Rambo, quatre Jaws, sept Freddy, six Halloween... Maintenant, il n'y a plus que des suites et des remakes!
Eh oui. Comme je l'ai déjà mentionné dans d'autres articles plus anciens, la nostalgie est une part importante de la manière dont on accepte et dont on adhère à une oeuvre. Et, étonnament, la génération des 30-40 actuelle semble frappée d'une nostalgie sans bornes.
Il suffit de voir le succès de séries comme Stranger Things, le lien constant fait entre les super-héros modernes et ceux de notre enfance (comment peut-on sérieusement comparer, selon les mêmes critères, la Wonder Woman incarnée par Lynda Carter et celle de Gal Gadot? Comment peut-on mettre en concurrence le Batman de Nolan et celui de 1966?). Comme si une génération entière, en quête perpétuelle de l'assouvissement matériel de ses fantasme, n'avait pas su se libérer de son enfance. Bien sûr, ce n'est pas parce qu'on possède des figurines de Star Wars au-dessus de son bureau, ou qu'on se cosplay dans les Comic Con qu'on n'est pas capable d'assurer le quotidien, et d'élever des enfants. Mais cette omniprésence de tout ce qui peut nous rappeler notre enfance fait quand même passer cette génération pour une bande de vieux cons, au son de "c'était mieux avant".
Il en va de même pour l'appréhension du cinéma. Cette génération (qui est aussi la mienne) a été la première à pouvoir prendre les films comme un loisir complet, notamment grâce à la VHS. Il n'y avait même plus à attendre une diffusion TV, ou une ressortie au cinéma : on possédait l'oeuvre. Elle était à nous.
Ce qui a, d'une certaine manière, largement contribué à biaiser notre regard sur ces mêmes oeuvres. Si le public peut, et doit s'approprier une oeuvre, elle ne lui appartient pas.
De la même manière, ce fantasme de notre enfance semble nous renvoyer à une époque plus "simple". Le cinéma, comme la BD, la littérature... semblait merveilleux. Simples. Des gens faisaient les films, on les voyait. Et quand on aimait un film, en plus, ils lui faisaient une suite. Pour nous.
Si c'est, tout de même, en (petite) partie vrai (les années 1980 ont été un vivier créatif fabuleux, et ce presque essentiellement grâce à l'étiolement des studios, rongés par les productions indépendantes), il ne faut tout de même pas se leurrer.
Prenons l'exemple des Ghostbusters. Certes, le dernier en date (de Paul Feig, 2016) n'est pas un chef d'oeuvre. Mais il faut être honnête : Feig est un meilleur réalisateur que Ivan Reitman. Et son film se justifie infiniment plus, et est plus honnête que Ghostbusters II.
A quel moment la saga Rambo a t-elle commencé à partir en sucette? A partir du second film, lorsque l'icône pacifiste et le message du premier disparurent pour laisser la place à une action écervelée.
Peu de ces films peuvent se justifier d'une histoire et d'une existence légitime, au final. Certes, beaucoup sont sympas. Les ruptures de ton d'un Indiana Jones à l'autre, ou d'un Lethal Weapon à l'autre permettent à la saga de continuer et de s'enrichir. Mais quid de Die Hard, dont le second opus a vu la disparition du grand John McTiernan (parti chasser le Predator) au profit du misérable Renny Harlin dans un remake débile du premier opus?
De même, même les studios, sur leurs propriétés, se sont jetés dans une quête de succès financiers faciles : Jaws. Superman. Universal a même tenté le chantage pour que Spielberg leur laisse l'autorisation de réaliser une suite à E.T. (8)!
La saga Alien, également. Avec Walter Hill et David Giler aux postes de producteurs tous-puissants, ils ont éclipsé les idées de Ridley Scott pour une éventuelle suite, et ont produit ce qui ne devait être qu'un remake par James Cameron. Remake qui, après un sondage public de la Fox, se révéla moins profitable qu'une suite destinée à un public plus large. Puis de venir Alien 3, massacré dès le stade de la pré-production, transformé en créature abominable dans le dos de David Fincher.
Idem pour le Blade Runner de Ridley Scott (1982), que le studio a démoli suite aux premières projections-test, remonté, amputé de son final qui fut remplacé par un happy end dont les images provenaient du Shining de Stanley Kubrick (1981). Sans compter la voix off de Deckard, à laquelle un (piètre) imitateur de Harrison Ford a participé suite au refus de celui-ci.
Mais remontons plus loin encore.
La censure des studios dès la lecture du script de Apocalypse Now. La surexploitation des films d'horreur des années 1970 ( et 80!), celle des films catastrophe. Avant eux, les films sur les dinosaures. Puis en remontant encore, les films noirs, les péplums...
Sans les réseaux sociaux, les studios mettaient en place, à la sortie des salles, des bulletins demandant aux spectateurs s'ils avaient apprécié le film, et s'ils en voulaient d'autres dans le même genre.
Donc, les genres tournaient en rond, puisqu'il n'était pas de nouveauté proposée. Si vous aviez aimé la Planète des Singes, aucun souci : on allait vous en faire d'autres films. Puis une série TV. Puis de nouveaux téléfilms basés sur le remontage de la série TV (véridique!). Vous aviez aimé L'Aventure du Poséidon? Ca tombait bien, on avait en stock les droits de "Il faut Renflouer le Titanic".
En somme, avec des moyens différents, le principe restait le même.
A une différence prêt : les films restaient en salle bien plus longtemps, ce qui limitait le nombre de productions pouvant être initiées. Sans compter que le studio qui étouffait ses congénères à grands coups d'exploitation risquait de se voir "oublié" des prochains Oscar.
Le système a donc toujours existé. Et ce n'était pas mieux avant. Je doute qu'un Saw V soit meilleur qu'un Halloween 3. Et, comme maintenant (en tout cas chez Disney, Warner travaillant jusque récemment d'une manière différente), le travail était confié à des employés du studio. Qui faisaient leur boulot. On est loin du grand art.
Les frères Russo, qui réalisent actuellement une partie des films Marvel sont sous contrat avec Disney, de la même manière que l'employé à la caisse de Disneyland.
J'ai mentionné que Warner (mais aussi Fox et Universal) travaillent d'une manière différente. Plus pernicieuse, d'ailleurs, sans doute, puisqu'elle est le détournement de la plus grande force de la Nouvelle Vague : l'indépendance. Ainsi, Zack Snyder ou Christopher Nolan sont des auteurs/producteurs/réalisateurs complets. Totalement indépendants, excepté pour ce qui est de la distribution de leurs films. Et c'est là que le bât blesse : s'ils ne font pas, à un moment, les films demandés par le studio, alors le studio est libre de ne pas distribuer leur prochaine oeuvre personnelle. Certes, Nolan, comme Spilerbeg dans les années 80, a les moyens (et le succès) pour ne pas s'en faire actuellement. Il serait idiot de la part de Warner de se passer d'un réalisateur qui, en prenant seul tous les risques financiers sur ses films, bat tous les records du cinéma indépendant actuel. Sur Justice League, en revanche, les choses se sont déroulées différemment. Le film est co-financé par Nolan, et en grande partie par Zack et Deborah Snyder. Pour la partie dirigée par Snyder. Le départ du réalisateur et de son épouse, pour les raisons que l'on connait, et permit à Warner (avec l'intervention de Rat-Pac, société de production de Brett Ratner) d'engager in-house Joss Whedon pour finaliser le film. La réalisation de Snyder était complète (pour ce que l'on en sait), et le film entrait en post-production losqu'il le quitta (ce qui aurait pu se passer sans souci, il n'est pas rare qu'un réalisateur passe au projet suivant en laissant à son directeur photo le soin de géré la post-prod. Spielberg l'a largement fait durant les années 80-90).
Ainsi, si le produit final est proche de ce qu'attendait la direction de Warner (après l'échec public de Batman V Superman), il ne s'agit pour autant plus d'un film de Snyder. Et les retombées (actuellement pas terribles) du film sont entièrement à mettre sur le compte du studio. Oui, nous nous retrouvons exactement dans la même situation que sur Alien 3.
Et donc? L'histoire se répète. Justice League peut-être, comme l'ont noté un certain nombre d'observateurs (9) le tournant que fut le film de Fincher à son époque. Le moment où les studios, mais aussi le public, se rendent compte que les choses sont allé trop loin.
La partie inédite, cependant, reste que jamais dans l'histoire du cinéma, le cinéma n'a perdu sa place. Que ce soient les contrats abusif qui ont mené dans les années 1930 à la création de la United Artists, la surexpoitation des genres qui a mené à la naissance du Nouvel Hollywood dans les années 1970, jamais le public, ou les artisans du cinéma n'ont perdu de vue qu'il s'agissait d'un art à part entière. Un art qui devait rapporter. Mais qui devait se suffire à lui-même.
A l'heure actuelle, cette simple notion a disparu, autant auprès du public que des producteurs. Une partie de ces films ne sont que des produits dérivés. Une plus-value financière. Certes, ils sont dérivés de comics, romans etc. Mais ils sont surtout devenus des produits, des placements financiers destinés à vendre des goodies, du merchandising (10)...
Une prévision que faisait Spielberg dans Jurassic Park il y a presque vingt-cinq ans.

5 - Conclusion
C'est le bordel. On va tous mourir. Merci encore pour le poisson.
Oui, bon, ok, j'en rajoute.
Le fait est que les choses sont complexes, et il est difficile de rejeter la faute d'une situation déjà vouée au désastre sur l'une ou l'autre des parties. Comme dirait l'autre, "il suffirait que les gens arrêtent d'acheter pour qu'on arrête de vendre". Oui, mais. Si les productions actuelles coûtent cher pour rapporter encore plus cher, elles sont également faciles à mettre en place. Il n'est nul besoin d'un haut niveau d'analyse ou de compréhension pour voir un Suicide Squad, un Gardiens de la Galaxie 2 ou même un Star Wars Rogue One. Ces films ne sont pas faits pour plaire à un public, mais à tous les publics (ce qui est antinomique de la notion d'Art). Et la recette est simple. De même que faire comprendre à ce même public qu'il veut cette facilité. Parce que ça le détendra. Lui faire croire que le cinéma n'est qu'un instrument de détente est facile. Apple utilise les mêmes techniques pour vendre des IPhone, après tout. Ce sont des films faciles à mettre en place, répondant aux mêmes codes, et faciles à voir et à apprécier : ils ne heurtent personne, ne froissent pas, ne s'embarrassent pas d'idéologie.
La vérité, c'est que ce cinéma populaire est devenu cinéma populiste.
Mais tout cela a des limites et, à force de marcher sur une corde tenue par des spéculations, les studios ne peuvent que choir.
Ceci dit, je me suis intéressé au principal problème soulevé par les productions récentes. Mais la surexploitation cinématographique, comme en Bande Dessinée (11), fait également que chaque film a de moins en moins de place et de temps pour être soutenu. Si la plupart passent en moyenne une semaine et demi à l'affiche, beaucoup n'y passent que quelques jours. Certes, le nombre rend la démarche financièrement positive à grande échelle. Mais pas à l'échelle des petites productions et du cinéma indépendant. L'idée, bien évidemment, est pour les gros studios de prendre le plus de parts possibles sur les petits. Cette noyade organisée fonctionne autant pour la littérature (inonder le marché de nouveauté qui seront mises en avant), que pour la BD ou le cinéma.
Néanmoins, tout n'est pas noir. Cette surexploitation a également réveillé une part des spectateurs traditionnels et des cinéphiles qui, par défaut, donnent une nouvelle vie inespérée au cinéma indépendant, de la même manière que l'arrivée en masse des multiplexes a ramené une partie des spectateurs dans les salles traditionnelles.
(1) les revenus du cinéma Hollywoodien dépassent les 60 milliards de Dollars annuellement, largement supérieurs aux quelques quatre ou cinq milliards que génèrent les blockbusters annuellement, et avec une croissance constante de presque 5% depuis le début des années 2000. Source : Motion Picture of America - chiffres actualisés en 2015.
(2) Prenant en compte compte toutes les productions US, y compris les co-productions étrangères (type Un Long Dimanche de Fiançailles ou Lord of the Rings).
(3) Source : IMDB.
(4) La mesure réelle est d'une marge nette de 16,9%, et une marge brute de 25,16%, et un rendement de 1,25% en positif pour 2017. Source : ZoneBourse.
(5) 180,794,517$. Source : Box Office Mojo
(6) il s'agit d'une estimation.
(7) Le surcoût de la 3D. Nous considérons que les spectateurs 3D y seraient allé de toute façon.
(8) Suite qui existe sous forme littéraire : E.T. La Planète Verte, Ed J'ai Lu.
(9) The Hollywood Reporter, notamment.
(10) Ironiquement, ce même procédé est ce qui a permit au Nouvel Hollywood de survivre, avant de se retourner contre lui.
(11) Je vous invite à vous renseigner sur le fabuleux travail sur le sujet de l'auteur et artiste Denis Bajram, et à la campagne de sensibilisation qu'il a initiée pour la reconnaissance des problèmes dans ce milieu.
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