Extrait de Cours
- Kevin Enhart
- 6 déc. 2017
- 14 min de lecture
Pour changer, voici le travail d'analyse basique que j'ai réalisé ces jours-ci pour mes élèves de 2nde en option cinéma.
Il s'agit d'une option de découverte, et je pars du principe qu'ils ont déjà les bases en ce qui concerne l'échelle des plans. En revanche, mon but est d'insister sur le langage cinématographique, les notions de symbolique et la signification des séquences.
Ici, je leur ai choisi trois séquences de films dont j'ai estimé que la plupart les avaient vus (et je ne me suis pas trompé) : le Tintin et Jaws de Spielberg, Batman V Superman de Snyder et Predator de McTiernan. Il s'agissait pour moi de prendre une scène de chaque (suivant la notion que je voulais leur apporter, bien sûr), et de la leur décrypter.
Mis à part ça, ça a été plutôt bien reçu de la part des élèves, même s'ils ont semblé surpris de découvrir que Jaws a fait peur.
Vous m'excuserez le bazar dans les explications : il s'agit essentiellement de notes que j'ai prises pour me focaliser sur les thématiques dont je voulais parler.
La prochaine fois, je parlerai avec eux de M le Maudit de Fritz Lang, qu'il verront entre temps (oui, on change de registre).
ANALYSE FILMIQUE
Les Aventures de Tintin et le Secret de la Licorne (Steven Spielberg, 2011)
Séquence d’ouverture.
3 :20 – 4 :50
Le film Tintin de Spielberg est à la fois le bénéficiaire et le promoteur de la technologie dite de « Performance Capture » (qui sera réutilisée sur la saga de la Planète des Singes, notamment). Comme, en 2005, le King Kong de Peter Jackson servait de promoteur au format Blu-Ray ou, en 2009, Avatar de James Cameron servait à vendre la 3D dans les salles de cinéma.
Il s’agit ici d’une mise en intention complexe : Tintin est un film d’aventure léger, tout public. Néanmoins, il ne s’ouvre pas, comme la plupart des films du genre, sur une scène d’action. Au contraire, la séquence est calme et lumineuse, et la musique qui l’accompagne dénote une bonne humeur dans l’ambiance générale.
En réalité, l’intention « action » du film est évacuée dès le générique, élaboré à la fois sous la forme d’une histoire complète (Tintin et ses amis poursuivent un homme qui a volé un globe lumineux), et de clins d’œil au héros créé par Hergé et à ses aventures dessinées. Inutile, donc, de présenter les personnages, connus de tous.
La première séquence du film a donc, comme intention, non pas de nous présenter réellement les personnages, mais de nous présenter le travail d’adaptation qui a été réalisé.
Après un générique entièrement en 2D, le film s’ouvre sur la première exposition des personnages.
D’abord, la palette de peinture – outil traditionnel de l’artiste – mais en numérique et en 3D, manière de montrer que l’art évolue.
Lorsqu’on s’en éloigne, c’est pour découvrir Tintin, de dos, face au peintre (Hergé, son créateur).
Il s’agit à la fois d’un hommage et d’une première découverte la technique de la performance Capture). L’hommage à Hergé sert à la fois à s’attirer la confiance du spectateur (l’ « esprit » du créateur est présent), mais également à lui montrer la bonne volonté du réalisateur dans son respect à l’œuvre originale (cf les caméos de Stan Lee chez Marvel).
Les plans qui suivent permettent de découvrir l’univers recréé par Spielberg, et la manière dont il se l’approprie.
Milou, d’abord, qui nous sert de « guide ».
La sous-intrigue du film (le pickpocket) est mise en place (et plus loin, l’intrigue principale). Ainsi, le spectateur peut découvrir toute la richesse de cet univers en 3D, et peut prendre le temps de l’appréhender et l’accepter. S’il y a une gêne, elle a le temps de se dissiper.
Spielberg utilise des plans qui lui sont propres, jouant sur les transitions, de manière, également, à montrer qu’il est bien le maître de son film, et non le sujet de la technologie informatique. Il « signe » ainsi son film.
Finalement, nous découvrons pour la première fois le personnage de Tintin. Non pas formellement, mais à travers le portrait que nous montre le Hergé de synthèse. Portrait qui n’est autre que le Tintin d’origine, celui de la BD (autre rappel que Spielberg le prend entièrement en compte).
Pour la première fois, le créateur original tend sa création à l’adaptation vue par un autre créateur. Il s’agit d’un jeu de miroir classique de Spielberg, permettant d’intégrer différents niveaux d’intention dans son métrage.
Lorsque Tintin se retourne, et demande à Milou ce qu’il pense du portait, l’intention ici est liée au spectateur.
Tintin se retourne vers nous, nous montrant le dessin original, ainsi que son visage. C’est à nous qu’il demande ce que nous pensons de lui. Est-ce que l’adaptation nous plaît ? Est-elle convaincante ? Si oui, alors nous pouvons nous laisser entraîner pour la suite du film (ce qui fait Spielberg dans la foulée, puisque la recherche de Milou va mener Tintin (et nous-mêmes) jusqu’à la maquette du navire.
Dans notre réalité, le Tintin de synthèse est le portrait issu du Tintin de Hergé (encore un jeu de miroir thématique de Spielberg).
Dans cette introduction, les intentions sont donc nombreuses :
Découverte des personnages (Milou, Tintin, les Dupont et Dupond…)
Découverte des bases de l’intrigue (la maquette) et de la sous-intrigue
Découverte et acceptation du personnage adapté
Découverte et acceptation de l’image issue de la technologie employée
ANALYSE FILMIQUE
Les Dents de la Mer (Steven Spielberg, 1975)
Séquence de la seconde attaque.
13 :35 – 18 :12
L’intrigue a déjà été lancée, et les personnages, ainsi que leurs buts, et les sous-intrigues, découverts.
La première attaque (qui ouvre le film) a également déjà eu lieu.
Dans cette première attaque, Spielberg reprend les codes « classiques » du cinéma d’horreur (et plus tard du slasher movie), à savoir l’aspect « moral » du meurtre.
Chrissie, la victime, est une jeune femme qui va dans l’eau (littéralement, à la rencontre de sa propre mort), ivre, nue, et sur le point de coucher avec un jeune homme. Ce qui, dans le cinéma d’horreur, constitue déjà trois fautes.
Une part du cinéma d’horreur classique est basé sur des notions de morale conservatrice.
Avec la mort de Chrissie, Spielberg rassure le public : il aura peur, mais comme dans tout autre film du genre. Tant que l’on reste moralement « correct », on ne risque rien.
Dans la scène qui nous intéresse, le Chef Brody cherche à surveiller la plage, après avoir tenté, sans succès, de la faire fermer.
Dès le début de la scène, et tout en suivant la future victime, Spielberg nous entraîne loin de l’eau, pour nous ramener auprès de Brody (ce qui servira à augmenter le sentiment d’impuissance du personnage comme du spectateur).
Le spectateur est conscient qu’il y aura une attaque.
Dès ce moment, Spielberg rythme sa scène en multipliant les cadrages et les « interférences » (personnes entrant et sortant du champ, venant parler à Brody).
Le personnage est toujours séparé des autres personnages, restant dans la partie droite de l’image, quand les autres personnages occupent la partie gauche.
Spielberg multiplie également les effets pour isoler encore plus Brody : double focale, focale longue… le personnage est prisonnier de son côté de l’écran et de sa tension.
Dans le même temps, le montage permet d’augmenter la tension des spectateurs : des transitions en « volets » (les personnes entrant et sortant du champ servant de volets) permettent à Spielberg de se rapprocher à la fois de l’eau et de Brody.
Egalement, il met en scènes de fausses attaques qui permettent de détourner l’attention.
Le spectateur est le premier à savoir que le requin arrive, via les plans en plongée et la musique caractéristique.
Juste après, un jeune homme cherche son chien. On l’a déjà vu (un gros labrador noir). Spielberg laisse ainsi augmenter l’inquiétude des spectateurs (dans la plupart des films du genre, le chien revient tranquillement après le meurtre).
Avec ironie, Spielberg provoque la véritable attaque alors que le personnage se détend légèrement (sa femme Ellen est le seul personnage à pouvoir entrer dans le même plan géographique et filmique que lui).
Le travelling compensé permet à la fois de lancer l’action, mais également d’isoler Brody encore plus en soulignant la violence de ce qui va suivre.
Pour isoler l’action, l’attaque est filmée en longue focale, depuis la plage (depuis brody), avant d’enchaîner sur la foule en panique.
A ce moment, le public peut encore avoir un doute sur la victime de l’attaque.
Jusqu’à ce qu’elle se finisse.
Lorsque tout le monde est sorti de l’eau, seule la mère du petit Alex y entre (légèrement, mais suffisamment pour la métaphore), cherchant son fils.
La scène se conclue sur le matelas pneumatique échoué dans un long plan. Ce plan permet à la fois de faire baisser la tension de l’attaque chez le spectateur, et d’opérer une transition émotionnelle qui lui permettra de comprendre et de s’identifier aux évènements qui vont suivre. Il sert également d’aveu d’échec de la part de Brody – et par extension du spectateur, et permet d’évacuer le doute sur le fait que le garçon est effectivement mort.
Dans cette scène, Spielberg joue donc à brouiller les pistes. Si le spectateur sait qu’une nouvelle attaque va avoir lieu, le réalisateur « s’amuse » à le tromper sur le moment où elle va avoir lieu, et lui propose plusieurs victimes potentielles.
Il met également en danger le spectateur.
Traditionnellement, dans les films d’horreur, on ne peut tuer ni enfant, ni animal de compagnie. Et le public ne s’y attend pas.
Spielberg, en tuant les deux dans la même scène, explique au public qu’il n’est pas en sécurité. Il ne s’agit plus de la morale traditionnaliste du cinéma classique, mais bien d’une expérience inédite (ce qui expliquera la peur que provoquera le film chez son public).
L’idée est que ce tueur, qui n’est pas humain, peut effectivement s’en prendre à n’importe qui, « innocent » ou non.
Cela permet également de modifier et d’accentuer l’impact de l’action sur les personnages, et l’urgence qu’il y a à attraper le requin. Ainsi, la seconde partie du film est lancée, et peut s’axer sur la lutte mythologique entre l’homme et l’animal.
Cette idée est d’ailleurs renforcée par le fait que Brody possède lui-même un chien (un bébé Cocker), et des enfants. Leur mise en danger potentielle (ce qui arrivera par la suite, cette scène permettant de se demander légitimement s’ils s’en sortiront) permet au personnages d’acquérir une nouvelle confiance et de nouveaux objectifs (ce qui l’autorise à monter sur un bateau alors même qu’il a peur de l’eau).
Ainsi, en une scène, Spielberg fait pivoter l’intégralité de son film (qui passe du film d’horreur au film d’aventure), tout en jouant avec les codes du cinéma d’horreur. Il s’agit en fait de l’une des bases du survival, soit un cinéma plus extrême (sublimé par des films comme La Colline a des Yeux de Wes Craven, ou Délivrance de John Boorman).
L’impact de cette scène ancre dans la réalité la peur des spectateurs (tout comme l’Exorciste, deux ans plus tôt).
ANALYSE FILMIQUE
Batman V Superman (zack Snyder, 2015)
Séquence « Martha ».
1 :39:30 – 1 :43:05
La Batman présenté dans le film est un personnage usé, vieillissant, rendu plus amer par le temps et les défaites qu’il a subies. Désabusé, il a la conviction que seules des mesures extrêmes peuvent servir la justice, en conséquence de quoi il est devenu l’ennemi autant de la justice que de l’injustice.
Lorsque, au début du film, il assiste au combat entre Zod et Superman, il prend conscience de la toute-puissance de ces deux êtres, ainsi que de leur dangerosité potentielle.
A contrario, c’est un Superman plus sûr de lui, plus au fait de ses pouvoirs et acceptant ses propres erreurs que nous rencontrons. Cependant, il est toujours tiraillé entre sa part humaine (héritée de ses parents adoptifs) et sa part extra-terrestre. Ainsi, son amour pour sa mère adoptive et pour sa compagne sont les principaux éléments qui le rattachent à l’humanité – ce qui n’en fait pas encore un gage d’humanisme.
Ainsi, ce Batman est un héros déchu en quête de rédemption (d’ailleurs, on ne le voit sauver personne durant le métrage, sa quête se bornant à arrêter les « méchants », quand ce Superman est un héros en devenir (qui, lui, échoue à sauver la population)
La séquence conclut le combat entre Batman et Superman – combat initié par la machination de Lex Luthor, qui a emprisonné Martha Kent, la mère adoptive de Clark/Superman.
Elle met en avant à la fois l’extrémisme et l’ingéniosité de Batman, mais également le fait que Superman ne veut pas sa mort (il retient ses coups, etc).
Batman représente ici une part de l’humanité, celle qui voit en Superman un danger. Ce ressort, très contemporain, est mis en avant dans la VO par le terme « Alien », provenant du latin, et qui signifie autant extra-terrestre qu’étranger.
Superman, pour Batman, est donc l’étranger, dangereux, qui ne peut que devenir mauvais s’il n’est pas arrêté.
Le nom de Martha réunit pourtant les deux personnages : il s’agit également (hasard de la création des comic books) du nom de la mère de Bruce Wayne, et dont le meurtre est à l’origine de sa quête de justice.
La séquence est donc vue de son point de vue.
Le flash-back nous renvoie au meurtre de son enfance, à sa douleur et à sa colère de ne pas avoir pu sauver sa mère.
Sans qu’il n’y ait besoin de mots, la compréhension de Batman à ce moment se fait sur plusieurs niveaux :
-Si Superman est un extra-terrestre, il a une mère, humaine. La notion de matriarcat est importante dans le film (et dans la filmographie de Zack Snyder d’une manière générale) : elle est la garante des meilleurs sentiments Humains (quand le patriarcat est souvent ce qui en provoque la dérive, tel chez Lex Luthor).
-Sauver la mère de Superman, Martha, revient à la symbolique de sauver sa propre mère. Donc, de se racheter. Il sauve une vie. Pas n’importe laquelle : celle de sa propre mère, par extension. Il peut donc, ainsi, espérer non seulement vaincre la colère aveugle qui l’anime, mais également trouver sa propre rédemption.
-Le pardon qu’il octroie à Superman à ce moment est son propre pardon, pour son extrémisme. Pour devenir un héros, tout (bon) personnage, depuis la Grèce Antique, doit d’abord s’affronter lui-même, s’accepter et se pardonner. Batman, à ce moment, voit la possibilité de devenir, à nouveau, un Héros.
De fait, à ce moment du film, le personnage « alien » (pour reprendre le latin : alienus, qui donne aliéné), « hors de lui-même » ou « étranger à lui-même » est bien Batman, soit sa propre Némésis.
On retrouve régulièrement cette thématique dans les grandes mythologies (Persée devant chercher et faire dominer sa propre humanité pour vaincre Hadès, par exemple) comme dans les grandes sagas (Luke Skywalker affrontant un Dark Vador qui n’est que lui-même dans l’Empire Contre-Attaque d’Irvin Kershner – Bruce Wayne devant vaincre sa peine et son image de Batman dans The Dark Knight Rises de Christopher Nolan).
Il s’agit d’une mythologie forte, couvrant généralement plusieurs actes (premier essor, chute, second essor héroïque…), mit en lumière dans les années 1950 par Joseph Campbell (spécialiste des mythes), auteur du livre Le Héros aux Mille et Un Visages, et largement utilisé depuis (y compris dans le Seigneur des Anneaux de JRR Tolkien, la saga Hunger Games et autres), et qui consiste à inscrire, dans le cheminement du héros, les chutes, les peines et les doutes comme autant de passages pouvant l’aider, s’il est résilient, à s’élever.
Cela va à l’encontre des archétypes de Carl Jung, pour qui seul celui qui est destiné à l’héroïsme, et qui fait preuve d’une grandeur perpétuelle, peut devenir un Héros (ce que l’on retrouve dans la Bible, dans les sagas cinématographiques de Marvel et dans la plupart des films).
Pour Jung, le Héros existe déjà, mais ne peut réussir qu’au milieu des autres.
Pour Campbell, le Héros est en devenir, mais ne peut réussir que face à lui-même (ce qui n’empêche pas l’acceptation des autres, qui souvent lui permettent de mieux se voir lui-même).
Sur le plan de la réalisation, on constate qu’elle est suffisamment stylisée pour rendre compte d’une violence brute.
La réaction de Batman à la fin de la séquence est le premier rappel de l’humanité de Superman : le Chevalier Noir gagne, égratigne son adversaire, qui saigne.
Cette vision renvoie à l’adage commun selon lequel « quelle que soit notre couleur ou nos différences, notre sang à tous est rouge ».
Il est d’ailleurs important que le personnage de Superman ne saigne pas plus tôt. Ce qui est une contrainte imposée par le studio (plus de sang aurait interdit le film aux -17 aux USA) est donc habilement transformé pour entrer dans la thématique du métrage.
Les coups de Batman sont massifs, et le son les fait ressortir autant que la souffrance de Superman.
L’arrivée de Lois Lane permet la mise en suspension du temps, et le lancement de la séquence de flash-back.
Lois elle-même est importante ici : personnage humain, aimant et connaissant Superman (elle le nomme Clark), elle est également une journaliste réputée. De fait, sa parole n’a pas à être remise à en doute. Elle est, à ce moment, la part d’acceptation humaine de Superman (quand sa mère est sa part d’adoption), soit ce qu’il a choisi d’être.
ANALYSE FILMIQUE
Predator (John McTiernan, 1987)
Séquence « Contact !!! ».
1 :39:30 – 1 :43:05
Le film nous présente une lutte, tout ce qu’il y a de plus classique, entre un groupe d’humains (ici, des mercenaires sur-entraînés) et une créature monstrueuse (ici, un extra-terrestre en safari). Un à un, les humains se font tuer par la créature, jusqu’à ce que le héros (Arnold Schwarzennegger) ne sache se montrer plus intelligent et prenne le prédateur à son propre piège.
Le propose du film repose sur le passage de l’humain (et de certains de ses éléments les plus « forts ») du statut de prédateurs (nous nous voyons comme espèce dominante) à celui de proies, face à un ennemi qui nous est autant supérieur que nous le sommes face à un lion ou un éléphant. Le Predator est un personnage en safari, en quête de trophées – quand la mission du groupe de mercenaires dirigé par Dutch (Schwarzennegger) est politique, puisqu’il s’agit de rechercher un autre groupe de mercenaires de la CIA disparu alors qu’ils tentaient un coup d’Etat dans un pays d’Amérique du Sud.
La jungle, personnage dominant ici, est déjà un élément hostile pour les héros, qui pensent savoir l’utiliser (mais pas autant que le Predator).
Dans la séquence qui nous intéresse, le premier des compagnons de Dutch a déjà été tué, et le groupe sait qu’il est traqué (bien qu’il ne se rende pas encore compte qu’il s’agit d’une créature extra-terrestre). La tension est donc à son comble, et chacun observe la forêt. Le Predator, lui, reste constamment autour des humains, les étudie et cherche le meilleur moyen de les tuer.
Ainsi, l’un des personnages, Mac, croit apercevoir quelque chose bouger, et commence à tirer (tous les personnages sont lourdement armés). Sans se poser de questions, le reste du groupe arrive, et commence à tirer dans la même direction.
C’est un déluge de feu qui s’abat sur la forêt, la déboisant radicalement, et ce jusqu’à ce que plus aucun des personnages n’ait de munitions.
Il s’agit ici d’une intention particulière du réalisateur, John McTiernan, propre à lui-même.
Bien que le scénario soit originellement signé de Jim et John Thomas, McTiernan, comme la plupart des réalisateurs lorsqu’ils arrivent sur un projet, prend le temps de légèrement réécrire le script. Il ajoute donc cette scène, qui deviendra rapidement culte parmi les fans.
Si la scène, au premier abord, montre la toute-puissance des mercenaires, le message que McTiernan y véhicule est tout autre : en réalité, il se moque de ces « guerriers » qui deviennent surpuissants tant qu’ils possèdent une arme et, par extension, d’une vision très martiale de la société américaine. Il montre ces soldats comme stupides, impulsifs et, de fait, faibles (ce qui explique pourquoi ils meurent si facilement).
Même si ce message n’est originellement pas dans le métrage, et ne fait ni partie de l’intention, ni de la « mythologie » du film, il s’agit tout de même d’une intention que l’on retrouve dans beaucoup d’œuvres, dans lesquelles le réalisateur ou la réalisatrice se projette et envoie un message issu de sa propre idéologie.
Ainsi, dans Jurassic Park, Steven Spielberg fait réécrire le personnage de John Hammond pour en faire un mégalomane rêveur et philanthrope – soit une extension de lui-même. Le personnage, totalement intégré au film, ne revêt finalement sa double identité qu’à un visionnage analytique poussé, et accompagné d’éléments extérieurs (interviews etc).
A contrario, il n’est pas rare que des spectateurs peu scrupuleux voient, dans des films ou des œuvres quelconques, des éléments qui n’y sont pas présents.
Ainsi, Le Seigneur des Anneaux : le Retour du Roi et 300 furent tous deux taxés de xénophobie : le premier présentant un « peuple du sud composé de barbares » qui fut assimilé à des tribus musulmanes, et le second, qui oppose les Spartiates aux Perses fut pris comme une insulte envers l’Iran (alors en délicatesse avec l’ONU) – le nom actuel de la Perse.
Dans LOTR, la présence des peuples du sud revient évidemment aux peuples du sud des Terres du Milieu (donc, rien à voir avec notre univers). Dans 300, issu d’un graphic novel lui-même issu d’un fait réel (la bataille des Thermopyles), il est évident que les Perses de l’époque n’ont rien à voir avec l’Iran actuelle.
Il convient donc, lorsque l’on analyse une œuvre pour en tirer l’idéologie propre à son créateur (ou réalisateur) d’être extrêmement prudent, et de se référer à des informations extérieures pour ne pas commettre d’erreur.
Comments